Cher médiateur,
Oublions les formules de politesse car vous avez face à vous un lecteur
excédé. Votre réponse à mon précédent courrier n’était-elle qu’un énième subterfuge
visant à vous moquer ouvertement de votre lectorat par une lamentable pirouette ?
Les semaines se suivent et se ressemblent en effet et votre productivité
ressemble de plus en plus clairement à celle d’un apathique paresseux somnolant
paisiblement perché en haut d’un arbre. Bien que peu enthousiaste, votre dernier agenda laissait pourtant espérer un minimum de professionnalisme, qui
est encore une fois bien loin d’être au rendez-vous. Ayant rencontré pas plus
tard qu’hier d’autres lecteurs tout aussi perplexes que moi face à cette
situation, laissez-moi vous dire que vous n’êtes plus qu’à quelques instants du
dépôt de bilan si vous ne vous ressaisissez pas rapidement.
Plus très cordialement,
Marc Batravic (Caen, Calvados)
-
Cher Marc,
Je comprends votre désarroi, la
lecture de SLETO étant je l’imagine ce petit instant de bonheur illuminant
votre journée dont l’absence peut alors vous plonger dans des océans d’amertume.
Concernant le dernier agenda de
la semaine, j’ai bien peur de devoir vous confesser qu’il est parfois dangereux
de trop faire confiance aux différentes annonces de notre rédaction. Si celle-ci
est assez morcelée, l’individualisme ayant atteint à SLETO des sommets jusque-là
jamais même imaginés, tous nos rédacteurs, mêmes les plus brillants, partagent par contre une étonnante capacité à ne quasiment jamais tenir leurs
promesses, ce qui a déjà provoqué mille remous dans la vie interne de notre société.
Sachez par exemple, car je me
rends bien compte Marc que nous vous devons de plus amples et honnêtes
explications, que notre bien aimé rédacteur en chef attend depuis des semaines un
grand papier sur l’utilisation du subjonctif dans le cinéma de Quentin
Tarantino promis par deux de nos plus éminents contributeurs, et que celui-ci
ne semble toujours pas sur le point d’être commencé malgré les nombreuses
remontrances ayant été faites à ces derniers. Prétextant une lourde charge de
travail et une recherche documentaire exigeant d’eux un investissement de tous
les instants, il semblerait pourtant que les deux individus susnommés aient
été aperçus hier au Parc Astérix en train de déguster de la barbapapa ce qui
vous en conviendrez Marc n’est guère le comportement que l’on est en droit d’attendre
de rédacteurs chevronnés, même si cela a au moins donné l’idée à notre
rédacteur d’installer une machine à barbapapa à la rédaction pour pousser la
productivité de ses collaborateurs.
Ceci étant dit, il me semble
utile pour que vous compreniez encore mieux notre difficulté à vous fournir un
contenu de qualité régulier de vous donner un aperçu d’une semaine typique d’un
de nos rédacteurs, que je ne nommerais pas par souci d’anonymat, et parce qu’il
ne sait pas encore que le reste de la rédaction l’espionne depuis des mois.
Nous avons par ailleurs préféré laisser de côté tous nos rédacteurs se droguant
ou abusant trop souvent de l’alcool, ce qui n’aurait été ni convenable ni
vraiment représentatif des réels efforts déployés par le reste de la rédaction
pour combler d’aussi fidèles lecteurs que vous.
Le sommeil reste la valeur centrale de la Charte des rédacteurs de SLETO adoptée à l'unanimité en début d'année |
Nous appellerons notre rédacteur
Eugène pour les besoins de l’exercice, mais il aurait tout aussi bien pu s’appeler
Donald.
Mercredi : Eugène débarque à la rédaction aux alentours de 13
heures et part tout de suite déjeuner avec quelques autres membres eux aussi
pressés de quitter les locaux, généralement infestés de toutes sortes d’odeurs,
voire de rongeurs. Le repas est animé et de nombreux sujets sont abordés, à la
notable exception du cinéma qui ne semble pas tellement les préoccuper. Revenu
à la rédaction, Eugène vérifie qu’il n’a toujours pas eu le moindre email
depuis son entrée en fonction il y a 3 ans et quitte donc la rédaction vers
16h30. Arrivé chez lui, il réalise que l’on est mercredi et que mercredi est
jour de sorties au cinéma et qu’il faudra probablement qu’il fasse quelque
chose de cette information dans un avenir proche. Le reste de sa journée se
partage entre le poker en ligne et skyper avec sa compagne, installée depuis
peu à Quimper pour relancer son entreprise de confections de bonnets jusque-là
peu florissante.
Jeudi : Quelque peu déprimé par l’absence de sa compagne,
Eugène appelle la rédaction vers 11 heures en prétextant un ennui de plomberie
qui l’empêchera de venir aujourd’hui, apostrophe violemment le rédacteur en
chef adjoint qui lui rappelle qu’il n’a ni toilettes ni évier ni douche dans
son appartement et finit par avouer qu’il n’a tout simplement pas envie de
venir, ce qui satisfait son supérieur ayant de toute façon l’intention de s’en
séparer prochainement. Tout de même angoissé par l’idée de perdre son emploi,
Eugène finit par se rendre sur Allociné pour consulter quelques bandes-annonces
mais est vite happé par les pubs envahissant son écran et passe la soirée à
consulter divers moyens de s’enrichir rapidement et d’augmenter de façon
substantielle la taille de outil de reproduction.
Vendredi : Se réveillant avec la même anatomie mais avec le
souvenir d’avoir effectué des virements bancaires peu sûrs, Eugène finit tout
de même par se ressaisir et se rappelle alors qu’il pourrait consulter l’agenda
hebdomadaire de la rédaction pour trouver un film à chroniquer. Très emballé
par un dessin animé étant justement sorti ce mercredi, il appelle tout de suite
notre directeur des contenus pour l’en avertir mais doit malheureusement se
rendre à l’évidence : La belle et la
bête n’est pas un dessin animé mais bien un film. Dépité, il finit tout de
même par se rabattre sur un film nord-coréen sorti il y a déjà 4 mois et que
notre directeur essaie désespérément de refiler depuis, persuadé que SLETO doit
investir le champ du cinéma d’art et d’essai. Eugène accepte mollement puis
découvre trois heures et quelques vodka-pommes après que le dit film n’est
projeté que dans deux salles en France, à Angers et à Montreuil. Peu emballé
par cette information, il décide de remettre à plus tard toute décision et d’aller
rejoindre des amis organisant une soirée Rapido dans le bar le plus proche.
Samedi : Individu très pieux, Eugène célèbre le samedi saint
et médite longuement sur les souffrances du Christ et les siennes à venir, qui
y ressembleront sans doute.
Dimanche : Eugène pense un moment à se rendre à Montreuil pour
visionner La malédiction du serpent des
monts Koji mais se rappelle que Montreuil est de l’autre côté du
périphérique et qu’il est donc hors de question qu’il se rende si loin, même
par impératif professionnel. Il appelle alors le directeur de la rédaction pour
savoir s’il est envisageable de faire passer un billet de train pour Angers en
note de frais mais tombe sur son répondeur, celui-ci observant le dimanche
saint et méditant aussi sur les souffrances du Christ, et probablement également
sur celles d’Eugène à venir.
Lundi : S’étant vu refuser son billet pour Angers sous
prétexte que son pass Navigo lui suffit pour se rendre à Montreuil, Eugène
pense un moment à démissionner mais se rappelle que son conseiller Pôle Emploi
lui a récemment expliqué que son RSA ne pouvait lui être versé que s’il
occupait un emploi d’au moins 15 heures par semaine, peu importe lequel. Eugène
réalise alors qu’il n’a travaillé que 2 heures dans la semaine jusque-là et se résout
à tenter le diable et à se rendre à Montreuil. C’est le moment que choisit sa
compagne pour débarquer par surprise dans son appartement, son activité à
Quimper étant brusquement interrompue par la révolution s’étant déclarée en
Bretagne et la répression féroce de l’armée venant d’être envoyée par un
Jean-Marc Ayrault survolté. Baignant dans le ravissement d’avoir retrouvé sa
chère moitié, Eugène oublie les serpents nord-coréens et se laisse sombrer dans
une douce concupiscence.
Mardi : La moitié
de la Bretagne ayant été rasée et le
calme étant donc revenu, Antoinette (nous appellerons ainsi la compagne d’Eugène)
repart la mort dans l’âme à Quimper après des adieux touchants avec Eugène,
très affecté par ce triste coup du sort. N’ayant pas le courage de se traîner
jusqu’à Montreuil, Eugène préfère noyer son désespoir dans un reste de vodka
industrielle ramenée d’un voyage en Biélorussie il y a 15 ans. Avant de
basculer complètement dans l’inconscience il écrit à la va-vite quelques
paragraphes sur ce film nord-coréen qu’il n’a pas vu, en insistant notamment
sur le symbolisme évident entre serpent et pénis, et l’envoie dans la foulée à
notre directeur des contenus sans même l’avoir relu. Il s’effondre quelques
instants plus tard.
Mercredi : Arrivé comme d’habitude à la rédaction à 4h30 du
matin pour truquer les comptes en toute tranquillité, notre directeur des
contenus prend connaissance de la chronique envoyée par Eugène à 1h37 du matin.
Quelque peu étonné par les nombreuses fautes d’orthographe, celui-ci est en
revanche très agréablement surpris par la qualité du papier et se félicite d’avoir
insisté pour que SLETO s’oriente vers d’autres cinémas plus intellectuels, qui
lui permettront sans aucun doute de conquérir de nombreux publics. Il note sur
un post-it d’attendre encore quelques semaines avant de licencier Eugène, ne
serait-ce que pour toucher les aides destinées aux entreprises engageant des
handicapés mentaux, et de contacter l’équipe de production de La malédiction du serpent des monts Koji,
qui seront certainement enchantés de la publicité leur étant faite sur SLETO.
J’espère que cet aperçu vous
donnera Marc une petite idée du défi quotidien auquel est confrontée la
direction de SLETO, devant tous les jours user de milles ruses et pirouettes
pour entretenir la motivation de troupes dont le professionnalisme est comme
vous le voyez très relatif.
Dans l’espoir de vous compter toujours parmi nos fidèles lecteurs,
Votre médiateur.
Le second petit boulot permettant à Eugène de compléter son RSA |
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