On rentre dans le dernier film de Pawel Pawlikowski comme dans une
église : à la fois fasciné par tant de beauté et pas mécontent de savoir
que la lumière du jour sera toujours là dehors pour nous accueillir. Car Ida est un film total dénué de tout
artifice, pari aussi admirable qu’angoissant.
En réalisant Ida, Pawel Pawlikowski signe d’abord son propre retour dans son
pays d’origine. Après un long exil en Europe occidentale et plusieurs films
tournés vers l’Ouest (My summer of love,
La femme du Cinquième), Ida est cette fois un film pénétré des
canons esthétiques du cinéma russe ancienne école, gagnant par cet anachronisme
une formidable force suggestive et symbolique. De cet académisme total ne s’autorisant
aucun écart naît donc une œuvre d’une beauté radicale, troublante mais unique.
Autant le dire tout de suite :
il n’y aura probablement pas un film visuellement plus achevé qu’Ida en 2014, car c’est bien un véritable
chef d’œuvre esthétique que Pawel Pawlikowski nous offre là. Il y aurait sans
doute dans chaque plan, réglé au millimètre comme seul sait le faire le cinéma de
l’Est, de quoi alimenter une conférence entière sur l’art de la réalisation.
Aucun autre cinéma ne sait en effet tirer une telle perfection visuelle du noir
et blanc, alliant géométrie de l’espace et travail sur la lumière pour produire
des scènes aussi éblouissantes que des tableaux de maîtres.
De cet héritage cinématographique Ida a aussi l’apparente froideur, et
une simplicité si totale qu’elle donne des airs mystiques ou philosophiques au
moindre mouvement de caméra. Ida va
en effet au bout du dépouillement pour ne laisser qu’une fenêtre ouverte sur un
monde froid et muet, où les êtres semblent s’agiter comme des poupées incohérentes
contre une immuable réalité, aussi statique que la caméra s’attardant implacablement
sur eux. Parce qu’Ida fascine et
occupe entièrement l’esprit par sa seule présence esthétique, il est d’ailleurs
facile de régulièrement s’y perdre dans la contemplation, oubliant presque le
récit se déroulant à l’écran.
Travers regrettable car Ida n’est pas seulement un objet
esthétique mais bien une histoire à part entière, évitant d’ailleurs toujours
de s’égarer dans sa propre contemplation. Remarquablement court (1h19), le film
de Pawel Pawlikowski y gagne une fluidité étonnante et perd aussi peu de temps
à débuter qu’à se clôturer, chose remarquable pour un film à première vue aussi
opaque. Cette simplicité narrative alliée à sa forme on ne peut plus épurée
donne à Ida des allures indéniables de conte philosophique, ce que même son
titre si laconique semble suggérer. Un drôle de conte certes, en forme de terrible
étude de cas sur les méandres de l’identité et la culpabilité d’être soi, plus
proche de Beckett que des frères Grimm.
Mais Ida est surtout un magnifique récit initiatique parvenant à mêler
subtilement naïveté et cruauté, porté par l’interprétation parfaite d’Agata
Trzebuchowska qui pourrait bien être l’Adèle du cinéma polonais. Une initiation
qui se clôture sur un magnifique plan final offrant un espace infini à la
réflexion, en même temps qu’un énième ravissement des yeux. Il faut donc bien
croire aux miracles.
Note : 9 (Barème de notation)
Pour vous faire votre avis par vous-même : la bande annonce
A suivre : Les grandes ondes (à l'ouest)
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