Si un produit aussi éculé que Qu’est-ce
qu’on a fait au bon Dieu ? a aujourd’hui un tel succès, c’est bien
évidemment un peu parce que vous n’avez globalement pas de goût, mais surtout
aussi parce que le cinéma français, reflet de sa société pour une fois, est
pour le moins assez mal à l’aise avec le thème des couples mixtes, genre
clairement sous-utilisé. Au-delà du côté « aimons-nous tous dans la
diversité » forcément un peu facile, Amour
sur place et à emporter est donc un film qui arrive quelque part à point,
certes très maladroit mais au final bien plus punchy et intéressant que les
dernières élucubrations de Christian Clavier.
Le cinéma : le seul endroit où vous verrez encore des gens aller au cinéma |
On peut penser ce qu’on veut du Jamel Comedy Club mais il est difficile
de ne pas admettre qu’il a amené une forme de renouvellement dans un monde,
celui des comiques, où les noms de Laurent Gerra, Michel Leeb et Jean-Marie
Bigard suffisent à comprendre que la France des années 50 n’est pas loin, avec
tout ce que cela suppose de franchouillardise assumée ou pas. Produit dérivé de
la petite troupe de Jamel Debbouze (écrit, adapté, réalisé et interprété par
Amelle Chahbi et Noom Diawara qui avaient déjà écrit la pièce originale), Amour sur place ou à emporter cherche
ainsi sa place dans un univers cinématographique incertain, où son ambition n’a
finalement pas beaucoup d’antécédents.
Peu d’antécédents déjà parce que
le peu de couples mixtes qu’a osé montrés le cinéma français, de l’acceptable Mauvaise foi au plus contestable Il reste du jambon ?, ont toujours
été essentiellement des couples français « de souche » VS la
diversité, sans jamais trop s’attarder sur les clivages pouvant exister au sein
même des minorités, façon d’omettre consciemment ou pas tout ce qui ne touche
pas aux préoccupations du français blanc moyen. C’était tout l’intérêt de l’excellent
Rengaine en 2012, justement centré
sur les dissensions entre communautés, mais qui était tout sauf une comédie et
qui ne se situe pas vraiment dans la même sphère que le film d’Amelle Chahbi et
Noom Diawara.
Aussi important peut-être, cette
volonté de montrer que la peur de l’autre existe aussi entre les minorités elles-mêmes,
au-delà du message que l’on prendra avec sérieux ou pas, autorise une liberté
de ton et de vannes qu’on n’imaginerait difficilement dans une comédie
française classique terrorisée par le danger de sortir du politiquement
correct, et offre au film une dimension relativement novatrice sous cet angle,
car osant s’aventurer dans des territoires jusque-là peu visités en France.
Cet apport, Amour sur place et à emporter essaie de le mettre au service d’un
humour clairement orienté vers le stand-up américain, référence évidente de tous
les comiques du Jamel Comedy Club,
comme Noom l’admet lui-même dans le film en citant le mythique Chris Rock comme
un de ses modèles. S’il se perd parfois dans des répliques un peu téléphonées et
évidemment souvent un peu attendues, Amour
sur place ou à emporter cherche ainsi un rythme saccadé et ultra-énergique
assez atypique dans une comédie française aimant d’habitude prendre son temps.
Le débit des deux protagonistes et la machine à vannes fonctionnant à plein
régime entraînent d’ailleurs parfois le film plus vers l’univers de la série TV
courte que celui du cinéma mais cela n’empêche pas les 85 minutes de passer
relativement bien, ce qui est quand même l’essentiel.
Alors bien sûr Amour sur place ou à emporter est aussi
bourré de défauts et d’imperfections, la faute à deux auteurs/acteurs
complètement novices dans ce domaine et qui ne peuvent pas non plus tout
réussir du premier coup. Complètement prévisible, pas non plus hilarant du
début à la fin, le film d’Amelle Chahbi et Noom Diawara se laisse en effet
souvent aller à la facilité, à l’image d’un final à peu près aussi mièvre que
95% des comédies romantiques du genre, car Amour
sur place et à emporter est finalement aussi une simple comédie romantique
dans le fond. Comme le suggère son titre, il se rapproche ainsi d’une sorte de
fast cinéma, équivalent artistique du fast food où l’on fait d’abord et on
réfléchit ensuite. La naïveté de la mise en scène et la caricature de certaines
scènes pourront ainsi un peu prêter à sourire, et il est probable que cette
première pierre donnera lieu un jour à des œuvres un peu plus fines et malines.
Il n’empêche qu’il y a dans cet Amour sur place ou à emporter, et cela
malgré tout ce qui vient d’être dit, une forme d’immédiateté et de liberté qui
prêtent aussi à sourire pour les bonnes raisons, parce que le film d’Amelle
Chahbi et Noom Diawara arrive finalement à se rendre plus attachant qu’il n’y
paraît par sa transparence et, lâchons le mot, sa vraie sincérité, qui ne
paraît ici pas (complètement) orchestrée par des producteurs voulant juste
profiter de la dernière mode. S’il met en place des codes qui sont loin
d’être révolutionnaires et reste assez propre sur lui, il installe tout de même un genre et des thèmes que l’on
aimerait voir plus souvent dans la comédie française, encore très crispée sur
une représentation assez monocolore de la société et de l’humour.
Comme le récent Pas son genre, Amour sur place ou à emporter est au final un de ces films dont l’intérêt
et la qualité ne vont pas forcément de pair, et qu’il faut à mon sens voir avec
une perspective bien plus large que la réussite du film en elle-même. C’est
heureusement la preuve que le cinéma appartient encore à la société, et qu’il n’est
pas une pure abstraction détachée de tout contexte social. Tout ça est je m’en
rends bien compte extrêmement pompeux mais c’est mon dernier mot, et c’est
ainsi.
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Note : 6,5 (Barème notation)
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