Chacun ses loisirs. En doux malade et entre le montage du Frelon vert et le tournage de L’écume des jours, Michel Gondry,
obsessionnel parmi les obsessionnels, n’a rien trouvé de mieux à faire que de
consacrer deux ans de sa vie à monter dans son coin cet étonnant documentaire
animé de sa rencontre avec le grand Noam Chomsky. Document assez unique par son
intégrité intellectuelle et artistique, le dernier Gondry est un vrai éloge de
la curiosité, un vrai Gondry donc.
Ceux qui s’attendent à trouver
dans cette Conversation animée avec Noam
Chomsky autre chose qu’un objet intellectuel risquent d’être déçus. Ceux
qui ont au contraire soif de pure réflexion conceptuelle seront au contraire
servis : malgré ses jolis dessins, le dernier Gondry est bien un pur
esprit, uniquement occupé de sautiller gaiment d’une idée à une autre.
Bien sûr les animations de Michel
Gondry, d’une fantaisie rafraichissante et maline à la fois, permettent à l’esprit
de digérer un peu mieux 90 minutes d’une rare densité, et l’on retrouve là le
Michel Gondry qu’on connaît bien, artisan avant tout et depuis toujours
passionné par le remodelage du réel. Mais comme il tient à le préciser dès les
premiers instants, l’essentiel n’est pas là : le plus important est bien
de profiter de ce rare moment d’échange entre un cinéaste ramené à sa condition
de simple mortel et l’un des intellectuels les plus marquants de l’après-guerre,
que ses 80 ans passés ne semblent jamais entraver dans sa capacité de
démonstration.
Mais plus qu’une simple retranscription
d’entretien, cette conversation animée est aussi un documentaire sur le
documentaire. Persuadé que les documentaires classiques ne sont finalement que
des films biaisés qui ne s’avouent pas, et il a quelque part raison, Gondry
prend résolument le parti-pris d’une linéarité totale, sans montage grossier ou
discours sous-jacent. Il reste bien sûr un peu de mise en forme, ne serait-ce
que parce qu’il n’a pas tout gardé et qu’il faut bien un peu accentuer certains
passages, mais difficile de ne pas reconnaître à Gondry cette intégrité :
son film est bien l’élégant mais fidèle récit d’un dialogue entre un vieux sage
et un jeune béotien essayant laborieusement de se mettre dans ses pas.
Et Gondry de se perdre parfois
lui-même dans la sinueuse pensée de Chomsky, et de nous en faire part à chaque
fois qu’il a le sentiment que la barrière de la langue (surprise pour un
artiste si transnational, Gondry parle anglais comme une vache espagnole) et de
l’habitude intellectuelle (60 ans de travail intellectuel d’écart entre les
deux quand même) se mettent en travers de sa volonté d’exploration et de
questionnement. C’est aussi dans ces intervalles montrés au grand jour, d’habitude
passés sous silence, que naît l’originalité et l’intérêt de cet objet
finalement plus intellectuel qu’artistique, dont la capacité probable à ennuyer
certains (mieux vaut effectivement s’intéresser un tout petit peu au fond du
débat) est finalement peut-être le meilleur compliment. Arte au cinéma, c’est
possible.
Réflexion sur la science, l’homme
et la liberté, Conversation animée avec
Noam Chomsky est la preuve que l’on peut encore produire et distribuer des œuvres
n’ayant pas la moindre aspérité commerciale, si tant est que l’on ait un grand
nom et qu’on l’on soit prêt à s’en servir pour la bonne cause. C’est aussi
évidemment un admirable essai de vulgarisation sur la théorie du langage, qui
persuadera peut-être certains de creuser un peu plus un sujet en apparence
aride mais recelant au final une infinité de questions toutes plus
existentielles les unes que les autres.
Merci professeur Gondry, et bon
vent cher monsieur Chomsky.
Note : 8,5 (Barème notation)
Pour vous faire un avis par
vous-même : la bande annonce
A suivre : D'une vie à l'autre
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire