jeudi 14 novembre 2013

Courrier des lecteurs - Episode 1

Menant depuis quelques années une enquête sociologique et ethnographique poussée des comportements des Français dans le milieu des salles de cinéma parisiennes, je suis régulièrement sollicité par certains d’entre vous sur les nombreuses difficultés que vous pouvez rencontrer au cours de vos sorties culturelles. Je me propose donc de répondre à certaines de vos questions, à travers quelques interrogations revenant de façon récurrente. Première partie.



« Faut-il arriver à l’heure au cinéma ? »
Comme vous le savez sûrement, le temps où l’heure d’une séance et celle du début du film coïncidaient à peu près n’est aujourd’hui qu’un lointain souvenir. Comptez quinze à vingt bonnes minutes dans la plupart des salles commerciales vous accueillant généreusement, à moins de tomber sur l’un de ces cinémas de quartier anachroniques n’ayant rien compris à l'évolution du monde moderne, et donc voués à disparaître d’ici peu.

Mais que renferme alors cet espace de temps ? Et devez-vous considérer que cette expérience gracieusement offerte par votre cher cinéma fait partie intégrante du produit que vous avez acheté ? Pour répondre à cela, disséquons une pré-séance typique : vous y trouverez normalement …

Dix minutes de promotion commerciale populaire variée et ciblée (ou quinze minutes selon le succès anticipé du film que vous avez choisi, pensez donc à intégrer ce paramètre dans vos réflexions). Le Français moyen n’ayant pas eu le temps de réfléchir au sens de sa vie pendant sa journée de travail, nos grands complexes de cinéma contemporains ont décidé d’œuvrer pour le bien de tous en lui apportant les réponses adéquates avant de se plonger gaiement dans son film. Quoi de mieux en effet que de s’instruire en s’amusant ? La pré-séance est ainsi un temps béni pendant lequel vous pourrez vous interroger sur la pertinence de vos choix en matière de sodas, jeans, voitures ou gadgets technologiques en tous genres, tout en vous promenant dans un univers enchanté ou vous flotterez aussi léger qu’un nuage, un univers où l’on vous veut du bien et où vous découvrirez enfin la marque de yaourts à la fraise qui correspond le plus à votre identité profonde. Ce moment étant évidemment incontournable, pensez donc à arriver un peu à l’avance pour ne pas rater les premières publicités, qui comme les premières scènes d’un film donnent le ton au reste du programme. 

Des extraits inédits présentant en exclusivité de futures perles télévisuelles (temps variable, toutes les séances et tous les spectateurs n’ont pas toujours cette chance). Subtilité apparue depuis peu, les chaînes de télévision ont décidé de rejoindre leurs amies les marques pour aider les Français à combler efficacement leur emploi du temps. Essentiellement et intelligemment utilisée par la télévision de service public pour promouvoir ses programmes en danger d’audience réduite auprès de la partie de la population regardant le moins la télévision, et a fortiori le service public, elle se donne généralement pour mission de présenter deux types de contenus audiovisuels. 

- Des programmes culturels avant-gardistes dont la publicisation au cinéma est susceptible de faire passer la performance d’audience de 0,01% à 0,15%, l’impact de cet effort de communication étant donc vital pour la survie de pans entiers du milieu intellectuel français. Arte semble en effet être le premier annonceur du panorama télévisuel français dans les salles de cinéma, ce qui montre l’intérêt évident de cette entreprise.
- Des programmes humoristiques courts destinés à être diffusés à 19h45 sur France 2, case horaire ayant tellement fait pour l’innovation et la qualité des contenus audiovisuels. La direction des programmes de France 2 n’étant pas du genre à se reposer sur ses lauriers, ses nombreux succès récents ne l’empêchent pas de poursuivre ses efforts de redéfinition de ses contenus. Vous aurez donc régulièrement le plaisir de découvrir la vie quotidienne d’une nouvelle famille typiquement française, avec son lot de tracas, mésaventures et bon mots aussi cocasses que profonds. Excellemment bien réalisés et savamment écrits, ces petits intermèdes savoureux vous permettront de vous préparer parfaitement à entrer dans votre film.

Quelques courtes et pénibles annonces publicitaires pour des films à sortir (proche de 0 minutes dans les grands cinémas populaires sachant répondre aux attentes du public, dépassant parfois les 5 minutes dans les cinémas d’art et d’essai totalement déconnectés de celui-ci). Survivance étrange du passé, la plupart des cinémas français diffusent ainsi encore un nombre variable de ce qu'on appelle vulgairement des "bandes-annonces", afin de faire patienter le public entre chaque publicité et ne pas lui faire risquer la surchauffe intellectuelle. S’acharnant généralement à ne comporter qu’un nombre réduit de placements produits, art subtil n’étant pas à la portée de tous, elles plongent le spectateur dans un monde informe et incertain où la portée des messages étant adressée à son cerveau manque souvent de la simplicité élémentaire nécessaire à son épanouissement spirituel. A la différence des publicités régies par un idéal partagé de service public, les bandes-annonces manquent de plus souvent cruellement de but commun ou de lien entre elles, soulignant par là même leur archaïsme le plus absolu et leur probable disparition prochaine.  On peut toutefois les distinguer grossièrement en quatre catégories. 

- Les mauvaises bandes-annonces de mauvais films. Représentant la plus grande partie des contenus projetés, elles peuvent paraître attrayantes par la capacité qu’elles offrent au spectateur de se défouler sur la qualité du cinéma contemporain mais représentent en réalité un piège sournois, compte tenu de l’incertitude de celui-ci vis-à-vis de l’état d’esprit des personnes l’accompagnant. Il est donc recommandé de n’exprimer aucune émotion à leur suite, le jeu étant à double tranchant. Leur fréquence de diffusion étant par ailleurs généralement inversement proportionnelle à leur qualité, leur visionnage répété vous permettra de mieux anticiper et maîtriser cet exercice.
- Les bonnes bandes-annonces de mauvais films. Également assez fréquentes, celles-ci sont les plus dangereuses, manifestant d’ailleurs par leur caractère mensonger l’infériorité morale  évidente vis-à-vis des publicités qui les précèdent, qui savent elles concilier éthique et qualité. Jouant sur la probabilité importante que tout mauvais film contienne tout de même 2 minutes cumulées de moments acceptables, elles démontrent encore une fois la nature fondamentalement perverse et manipulatrice du cinéma non publicitaire, dénué de toute autorégulation comme peut l’être l’univers de la publicité. 
- Les mauvaises bandes-annonces de bons films. Beaucoup moins fréquentes, elles représentent cependant une partie de la production, étant généralement le fait de producteurs et réalisateurs considérant qu’il serait trop facile et peu glorifiant de faire une bande-annonce reflétant le contenu de leur œuvre, les spectateurs attendant bien sûr une stimulation intellectuelle d’un autre ordre. Très souvent confondues pour des raisons différentes avec les deux genres précédents, elles permettent néanmoins aux réalisateurs concernés de conserver un public confidentiel plus apte à comprendre leurs aspirations artistiques.
- Les bonnes bandes-annonces de bons films. Anciennement répandues dans certaines régions du globe, elles sont aujourd’hui en voie d’extinction, le plus probable étant donc que vous n’ayez jamais l’occasion d’en observer un spécimen de vos propres yeux. On raconte qu’il fut un temps ou certaines d’entre elles duraient moins de 5 minutes et ne racontaient pas toute l’histoire d’un film avant de l’avoir vu, mais ces rumeurs n’ont pas encore pu être confirmées de manière certaine.

Tout ceci étant dit, il me semble donc évident qu’un spectateur qui se respecte ne peut se permettre de rater une pré-séance, cette partie étant même parfois plus bénéfique intellectuellement que le film en lui-même, manquant souvent cruellement de prédictibilité. Le temps consacré aux bandes-annonces reste toutefois un problème dont vous devez avoir conscience avant de vous aventurer dans une salle de cinéma et il peut aussi se concevoir que cette pénible réalité puisse décourager certains d’entre vous. 

Mais s’il est donc moralement défendable de se priver de la pré-séance et de n’arriver que pour le début du film, cette attitude pose cependant des soucis logistiques et peut durablement impacter votre image auprès du reste de la salle, rarement bien disposée à l’égard des retardataires. Je me pencherais donc  prochainement sur l’optimisation maximale de votre placement dans la salle afin de contourner le mieux possible cet inconvénient

Bonne séance d’ici là.


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