Comme je le soulignais dans un précédent papier en
réponse à une de vos interrogations, il est parfois nécessaire de faire
l’impasse sur les nombreuses réclames agrémentant la pré-séance de votre film
favori, la présence de nombreuses bandes annonces gâchant souvent tout le
plaisir des publicités proposées. Cette attitude n’est malheureusement pas sans
inconvénients puisqu’elle vous expose à vous présenter à la face du public déjà
présent dans la salle comme l’espèce la plus honnie ici-bas : un
retardataire. Traumatisés par les fréquentes et brutales réprimandes vous ayant
été infligées par des spectateurs peu compréhensifs voire même inutilement
agressifs, vous me faites ainsi régulièrement part de questions plus techniques
sur les tactiques et astuces à adopter pour éviter certains débordements et
brimades. Je me propose donc d’aborder les plus élémentaires d’entre elles,
témoignant la plupart du temps d’une simple méconnaissance de la géographie
symbolique d’une salle. Mais commençons par le début.
Quelle rangée faut-il privilégier ?
Cette question
ne concerne bien sûr pas les cas extrêmes où vous vous trouveriez devant une
salle en apparence complète, où la dernière place non occupée se déroberait
évidemment à vos yeux. Si vous décidez ainsi d’arriver 20 minutes en retard
pour la première mondiale de l’Épisode 7 de la Guerre des Étoiles le vendredi
18 décembre 2015, j’ai peur de ne pas pouvoir vous aider plus
substantiellement. Armez-vous dans ce cas de courage et rappelez-vous que tous
les quolibets du monde se seront évanouis une fois que la magie du cinéma aura
fait son effet, même les plus imagés et inventifs d’entre eux.
Pour tous les
autres cas, maintenant que vous vous trouvez devant cet angoissant mur plus ou
moins rempli de visages vous scrutant avec mépris et condescendance, il est
temps de vous ressaisir et de faire preuve d’efficacité. Prenez d’abord une
photographie mentale de toutes ces personnes : ce sont vos ennemis, considérez-les
donc comme tels à partir de maintenant. Maintenant que votre esprit a retrouvé
sa clairvoyance, serrez les poings, les dents, et agissez.
Ne faites pour
commencer pas l’erreur de négliger le choix de la rangée à laquelle vous allez
vous arrêter pour observer les espaces laissés plus ou moins disponibles par
les tenants des lieux. Comportement classique de nombreux néophytes ne
maîtrisant pas encore les codes en vigueur dans les salles françaises, celle-ci
pourrait vous perdre irrémédiablement. La rangée que vous vous apprêtez à
choisir en dira ainsi beaucoup plus sur vous que vous ne pouvez l’imaginer à
l’instant où vous levez bêtement les yeux dans cette terrifiante
semi-obscurité, et pourrait durablement affecter votre image parmi vos
semblables dans les années à venir.
Il vous faut
donc prendre en compte ces quelques règles élémentaires :
- La première
rangée est un espace proscrit à tout spectateur ayant un minimum d’estime
de soi. Uniquement conçue pour accueillir les malvoyants trop fiers pour porter
des montures et les nostalgiques des visites scolaires au Futuroscope voulant
recréer les conditions réelles de leurs attractions favorites, elle rend de
plus quasiment impossible la visualisation d’un film sous-titré à moins d’être
doté d’une vision panoramique digne d’un personnage de science-fiction.
Essentiellement utilisée comme repose-pieds et casiers pour les spectateurs les
plus envahissants du second rang, elle est d’ailleurs probablement amenée à
terme à disparaître, plusieurs projets d’associations de spectateurs allant
actuellement en ce sens, même si la plupart d’entre eux butent encore sur la
dénomination devant alors être attribuée au second rang. Quoi qu’il en soit, ne
daignez même pas poser votre regard de ce côté, où vous risqueriez d’être déjà
catalogué comme un irrécupérable excentrique.
- La dernière
rangée est le lieu de toutes les perversions. Royaume d’ombres réservé à une
armée de personnes aussi inquiétantes qu’imprévisibles, celle-ci ne peut être
qu’un ultime recours en cas de complète surcapacité atteinte aux autres étages,
si tant est qu’on vous laisse d’ailleurs pénétrer dans cette lugubre contrée.
Peuplée entre autres d’abjects adeptes du voyeurisme et de l’onanisme, de couples
adultérins en pleine consommation de leur vice, de sans-papiers fuyant
fiévreusement des bataillons de paramilitaires à leur trousse et, espèce la
plus retorse, de traders débraillés s’enivrant à l’alcool de pomme de terre
après une harassante journée de travail, elle est un Etat dans l’Etat, où la
République a depuis longtemps renoncé à faire la loi faute d’effectifs capables
d’y maintenir l’ordre. Ne vous y aventurez donc à aucun prix à moins de n’avoir
plus rien à perdre, pas plus d’ailleurs que dans l’avant-dernière rangée, le
plus souvent transformée en no man’s land afin d’établir un cordon sanitaire
avec le reste des rangées convenables.
- S’installer
sur les rangées sur le côté est un
suicide social. Espaces par essence antisociaux et d’ailleurs supprimées dans
certaines salles refusant assez légitiment cette immoralité criante, elles ne
sont généralement que des espaces de transit pour apatrides dépourvus de tout
attachement pour la salle les accueillant, voire même de réel intérêt pour les films
projetés. Individus plus souvent occupés à scruter les écrans de leurs
cellulaires, à soupirer et à faire d’innombrables allers retours aux
sanitaires, ils se permettent parfois même de quitter les lieux avant la
clôture officielle de la projection, manifestant ainsi leur totale absence de
civisme. Evitez donc de vous mêler à ces peu recommandables personnages, dont
la faiblesse morale est on ne peut plus contagieuse.
A ce stade,
vous devez probablement commencer à comprendre que toute salle de cinéma reproduit
en grande partie les structures inhérentes de la société qui l'abrite, de
façon parfois même encore plus subtile. Encouragés par leur seul bon sens, les
spectateurs fuient ainsi bien naturellement les marges, inquiétantes et
inconfortables, pour se réfugier dans les rangées moyennes, seules capables de
leur offrir le mode de visionnage leur convenant vraiment. Fruit d’une
autorégulation aussi efficace qu’harmonieuse, la salle de cinéma est donc une
véritable utopie politique, où la démocratie directe s’exerce sans la moindre
coercition.
Une fois
éliminées les innommables rangées précédemment énumérées, il vous faut cependant
encore intégrer quelques éléments de réflexion afin de choisir celle qui vous offrira
les meilleures conditions d’épanouissement personnel.
Evitez d’abord
la rangée du milieu, si tant est bien sûr qu’elle existe numériquement parlant.
Généralement choisie par les spectateurs psychologiquement les plus faibles et
par là même incapables de faire un choix, elle souligne la nature indécise
pathologique de ses occupants, souvent moqués dans les rangs les plus proches.
Ce dernier
écueil éliminé, vous pouvez maintenant faire votre choix parmi toutes les
autres rangées, mais sachez tout de même que celles-ci se divisent en deux
camps distincts, même si certaines salles poussent parfois la complexité plus
loin, mais nul besoin ici de rentrer dans des détails rébarbatifs.
- Les rangées de
l’avant sont habituellement réservées aux spectateurs dotés d’une nature spontanée,
extravertie et optimiste, autrement dit la plèbe, les perdants. Pas angoissés à l’idée d’être potentiellement scrutés
pendant tout le film par une partie de leurs semblables et impatients d’en
découdre, ils n’hésitent parfois pas à se munir de différents mets alimentaires
qu’ils dégustent avec envie pendant la séance. Généralement peu rompus à toutes
les subtilités de la cinématographie, ils sont pourtant les plus prompts à
apprécier les films qu’on leur propose mais représentent une masse assez
hétérogène et instable dans le temps, la faute à un large renouvellement de
leurs effectifs de séances en séances et cinémas en cinémas. Ensemble informe ne faisant preuve d'aucun effort de structuration sociale, ils sont hélas pour eux condamnés à n'être que de perpétuels invités tolérés en ces lieux, incapables d'influer sur le processus décisionnaire par leur manque de maîtrise des codes symboliques en vigueur. Espace à première vue hospitalier et bon enfant, il risque cependant de vous enfermer dans un rôle de dominé donc vous n'aurez peut-être jamais conscience. Le pouvoir est ailleurs.
- Les rangées de
l’arrière sont elles le lieu de résidence d’une certaine aristocratie,
dont le prestige va grandissant à mesure que la hauteur s’élève, sans bien sûr
côtoyer les dernières rangées. Adepte de la dissimulation et aimant se réfugier
dans des hauteurs lui permettant de comploter en secret contre les auteurs du
film en présence, celle-ci est marquée par une relative stabilité démographique,
une partie du standing attaché à ses membres étant en effet fonction de leur
assiduité. Maîtrisant à la perfection toute la gamme des expressions
faciales de la moue au dégoût, elle sait en user à profusion une fois la fin de
séance venue à destination de certains voisins du devant, si leur trop
communicative bonne humeur leur semble mériter ce châtiment. Bien que leur
compagnie puisse donc parfois s’avérer traumatisante, sachez cependant être de
bonne composition en leur présence : il ne faut jamais insulter l’avenir,
vous y aurez peut-être un jour votre place. Apprenez dans ce cas à toujours modérer votre enthousiasme et travaillez votre culture cinématographique : celle-là vous permettra de n'apprécier qu'un nombre réduit de films et de gratifier vos voisins de l'arrière de quelques remarques acerbes qui montreront que votre place est parmi eux. Sacrifiez à ces quelques rituels, la reconnaissance sociale qu'ils vous procureront n'a pas de prix.
Aussi détaillé
et exhaustif qu'ait bien entendu pu être cet exposé général, il me semblait cependant
nécessaire pour bien comprendre l’univers dans lequel vous aspirez à évoluer,
les conséquences d’un défaut de compréhension étant parfois tragiques. Ceci
étant dit, je m’attaquerais prochainement à des points plus pratiques comme il me l'a explicitement été demandé.
D'ici là, bonne séance et surtout bon courage.
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