Dernière édition de notre
courrier des lecteurs, avec cette semaine une clarification essentielle de
notre médiateur sur la structure actionnariale de notre entité.
Cher médiateur,
C’est sous l’anxiété la plus
extrême que je vous écris, tout Paris ne bruissant actuellement que de
l’odieuse rumeur de votre rachat par un grand groupe étranger dont la seule
ambition serait de dénaturer votre noble mission pour de bas intérêts
mercantiles. Je n’osais jusque-là croire à ces insinuations malfaisantes colportées
par des individus probablement coupables de quelque manipulation, votre
présentation de l’année 2014 m’ayant d’ailleurs conforté dans cette voie, mais
un de mes amis les plus proches en qui j’ai une confiance absolue m’a pourtant
hier encore assuré que ces bruits n’étaient pas sans fondement. Comprenez donc
mon désarroi, moi dont la seule lueur
dans la vie constitue depuis plus d’un mois déjà à me délecter de vos billets
quotidiens tous aussi cocasses qu’informatifs, et qui voit s’agiter immonde la
perspective d’être privé de l’espoir même. L’argent vous serait-il donc
véritablement monté à la tête ? Le succès a-t-il eu raison de votre si
belle et ambitieuse mission de ré-éclairer le morne univers du septième
art ?
En attente de votre réponse, je
vous reste fiévreusement dévoué,
Modibo Cissé
(Conflans-Sainte-Honorine, Yvelines)
Cher Modibo,
S’il me semble que vous prenez
sans doute toute cette histoire un peu trop à cœur, je comprends tout de même
parfaitement votre inquiétude, bien naturelle compte tenu des menaces planant
apparemment sur un média ayant su si vite se rendre indispensable aux yeux de
fidèles adeptes dans votre genre. Afin de répondre le plus précisément possible
à vos angoisses bien légitimes, il me paraît donc indispensable de vous exposer
brièvement l’histoire légale de notre entreprise, ce qui répondra je l’espère à
vos attentes.
Wall Street se prépare déjà à notre introduction en bourse, au moins aussi attendue que celle de Facebook |
Société par actions depuis ses
débuts, Salles lumineuses et toiles
obscures fut historiquement,
c’est-à-dire pendant une dizaine de jours pendant la première quinzaine de
novembre, une entité solidaire dont les actions étaient partagées à parts
égales entre les 14 co-fondateurs de ce média, chacune de ses parts ayant été
valorisée financièrement au montant de 1,5 euros pour un capital global de 21
euros. Cette organisation nous apparaissait alors comme la seule solution
permettant de maintenir la logique collaborative et participative érigée en
principe premier de notre entreprise, et cette décision fut donc prise
naturellement, un vote à mains levées ayant suffi pour la valider à
l’unanimité.
La vie et sa cohorte de
mesquineries s’est malheureusement chargée de nous ramener à la réalité et les
conflits sont très vite apparus au sein de l’équipe dirigeante sur les actions
à mener pour valoriser le capital de l’entreprise. Des fractures
irréconciliables se sont alors très vite matérialisées, paralysant le
fonctionnement de notre média pendant des journées entières. Après avoir refusé
de donner son accord pour introduire le vote à la majorité qualifiée de 10
voix, seul moyen d’établir un pouvoir de décision stable, une minorité nuisible
a ainsi définitivement déclaré la guerre au reste de la rédaction en sabotant
une partie de nos contenus, allant jusqu’à publier une parodie de courrier du cœur
qui a proprement scandalisé les autres co-fondateurs se battant tous les jours
pour imposer une certaine idée de la culture.
Cette guerre de tranchées était
sur le point de prendre des proportions qui menaçaient l’existence même de la
société quand une partie des co-fondateurs a unilatéralement décidé de faire
changer les serrures du propret T2 dans le 18ème arrondissement qui abritait
alors nos locaux, mettant donc fin à cette triste pagaille. Comme vous le savez
sans doute, les individus ainsi éjectés viennent de lancer un média concurrent
bien que d’une qualité très médiocre, Salles
cons et filles obscures, qui ne devrait pas faire long feu sur la
blogosphère. Si une procédure en cours intentée par les individus susnommés m’empêche
de vous donner plus de détails sur cette affaire, sachez toutefois que ces
coquins ne nous manquent pas, bien au contraire.
Ayant compris qu’il était
impossible de développer convenablement notre société avec la naïve logique
collaborative de nos débuts, cette mésaventure nous a en tout cas permis de
comprendre que d’autres voies devaient être empruntées pour diffuser au mieux
notre message novateur. Nous vous avions donc annoncé à la mi-novembre un
rapprochement avec le mensuel Pleine Vie,
leader sur le marché des séniors en France, ce partenariat étant basé sur un
échange de bons procédés : une entrée à 50% du groupe de presse Mondadori
dans notre capital contre une publication régulière d’une partie de nos
contenus les plus prestigieux dans ce sympathique magazine. La greffe n’a comme
vous le savez malheureusement pas vraiment pris et nous nous sommes même
retrouvés mêlés à une gênante polémique suite à la publication d’une chronique
sur le cinéma pornographique des années 30 dans les pages Culture de Pleine Vie, ayant apparemment considérablement affecté la campagne d’abonnement
du mensuel pour 2014. Ayant choisi de ne pas céder aux injonctions du groupe
Mondadori qui nous demandait de nous séparer du rédacteur incriminé, l’ironie
voulant qu’il soit finalement débarqué cette semaine pour faute professionnelle
grave, notre collaboration s’est donc arrêtée là, nous ramenant en quelque
sorte à la case départ.
Je ne vous cache pas que le moral
des troupes était alors au plus bas à la rédaction, cette seconde mésaventure ayant
été dure à avaler pour un jeune média comme le nôtre, encore peu initié aux
duretés de ce milieu sordide. Nous aurions pu alors nous arrêter là et nous
résigner à n’être qu’un blog comme les autres, une partie de la rédaction ayant
d’ailleurs mesquinement choisi ce moment pour nous quitter et rejoindre le
service Cinéma du Gorafi, à qui nous ne souhaitons rien de bon.
Bien heureusement, ce coup ne fut
pas fatal et renforça encore les derniers d’entre nous dans la conviction qu’il
était nécessaire de nous battre pour assurer la survie d’une entité unique dans
l’univers médiatique français. Je suis donc heureux Modibo de vous annoncer
aujourd’hui officiellement que notre société vient de céder 50,01% de ses parts
à Maurice Taylor, le PDG américain de Titan ayant récemment eu les déboires que
l’on sait avec notre ministre Arnaud Montebourg. Ayant enfin trouvé avec Salles lumineuses et toiles obscures une
structure compétitive qui devrait lui permettre de se développer à l’international,
Mr. Taylor siègera donc à partir de la semaine prochaine au conseil d’administration
de la société, puis aux assemblées plénières de nos actionnaires. Ce changement
ne devrait bien sûr Modibo pas perturber le contenu éditorial de votre site, Mr.
Taylor nous ayant assuré qu’il ne comptait pas intervenir dans la vie de
celui-ci, même s’il n’est pas exclu qu’il se serve parfois de cette caisse de résonance médiatique pour promouvoir ses convictions politiques et sociales
fort estimables. En échange de son apport financier, Mr. Taylor sponsorisant
sur ses deniers personnels le loyer de nos nouveaux locaux et nos déjeuners/conférences
de réfaction quotidiens au KFC, il est prévu que Salles lumineuses et toiles obscures soit introduit en bourse
dès avril prochain, puis au CAC 40 d’ici fin 2014, ce qui ne devrait pas poser
de problème.
L’avenir est donc radieux comme
vous pouvez Modibo vous en apercevoir et il me semble que cette heureuse
conclusion aura largement suffi à dissiper vos craintes les plus tenaces et à
vous assurer que votre site n’est pas prêt d’abdiquer sa liberté de ton. Nous
vous tiendrons bien sûr informé des prochaines évolutions dans ce domaine, une
assemblée générale des actionnaires étant prévue le 27 décembre au Palais des
Congrès à Paris.
Bien à vous.
Le médiateur.
La présentation de notre budget 2014 a été organisée dans le nouveau Zénith de Nevers |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire