mercredi 25 décembre 2013

Courrier des lecteurs : l'étrange Noël de la rédaction



Cher médiateur,

Alors que la magie des fêtes emplit les rues et qu’un doux ravissement transfigure les visages des petits, des grands et des électriciens de France, je remarque que vous ne semblez pas vous joindre à cet enthousiasme général, vos derniers billets témoignant d’un grand sérieux et d’un certain pessimisme face à l’avenir de notre cinéma national. Est-ce à dire que l’esprit de Noël ne touche pas vos cœurs froids et impassibles et que Salles lumineuses et toiles obscures refuse de partager avec nous autres, vos lecteurs pourtant fidèles et dévoués, ce moment si revigorant ? Je vous avoue très piteusement être un brin blessée par cette attitude, qui m’empêche de profiter vraiment de mes congés hivernaux, ayant le sentiment d’être tenue à l’écart d’une quelconque vérité cachée que vous seriez sur le point de nous révéler. Une réponse sur ce point me serait donc fort utile pour la suite de mes vacances, pour l’instant bien mornes et incertaines.

Liliane Carolezza, Mazières-les-Metz (Moselle)

Peu de gens s'en souviennent mais Oui-Oui avait remplacé le Père Noël sous le régime pétainiste entre 1940 et 1944


Cher Liliane,

Si nous n’avons malheureusement pas de vérité cachée à vous révéler, le Très Haut étant bien entendu le seul à pouvoir nous faire part de ce genre de messages, je dois en revanche vous avouer que votre courrier a profondément ému toute la rédaction, pourtant peu coutumière de ce genre de mouvements spontanés comme vous l’avez si bien souligné. Je me fais donc son porte-parole en vous assurant ici que le peu d’enthousiasme manifesté jusque-là vis-à-vis des célébrations de saison n’a rien à voir avec une quelconque volonté de saper le moral de nos biens aimés lecteurs, dont le bien-être quotidien reste notre préoccupation première.

Laissez-moi donc Liliane vous exposer les trois raisons simples pour lesquelles la rédaction n’a guère eu l’occasion ou la volonté de célébrer comme il se devrait l’anniversaire de la naissance de Mr. Christ.
Non, les Pères Noël n'habitent pas au Groenland mais en banlieue parisienne

1/ A l’exception de votre dévoué médiateur, bon catholique fréquentant une des paroisses les plus respectées de notre capitale et ne vivant que pour les sept sacrements, la rédaction ne compte en son sein aucun autre individu versé dans le culte de Jésus Christ, limitant par là même son enthousiasme pour la belle fête de Noël. Si nous avons toujours mis un point d’honneur à refuser l’embauche de païens, agnostiques ou athées de toute sorte, véritable plaie de notre époque, la rédaction est par contre morcelée en un grand nombre de croyances et cultes divers, constituant ainsi un véritable patchwork des spiritualités. Bien que le décompte des confessions de chacun ait tendance à évoluer en temps réel au gré des aléas du monde, nous pouvons aujourd’hui dénombrer 4 musulmans (dont 2 chiites et  1 sunnite en constante bisbille pour une sombre histoire de mœurs, et un soufie dont les croyances et convictions sont encore peu claires à part une tendance très marquée à l'absentéisme), deux juifs éthiopiens haredim tendance Hassidim, un juif séfarade séculaire converti au taoïsme, un Mormon vivant actuellement entre l’Utah et Bourg-la-Reine, deux hindous, un scientologue également adepte depuis peu du culte d’Hare Khrisna, trois animistes pratiquant le sacrifice rituel d’insectes et un certain nombre d’admirateurs de Satan et d’autres divinités nordiques ou empruntées à la science-fiction regroupées dans une Confrérie du Culte des Âmes Noires bien connue du voisinage pour ses pratiques aussi originales que bruyantes. Si cette pluralité de relations à la transcendance est une des forces de notre entité, mettant la quête spirituelle au centre de toutes nos actions, elle peut en revanche se révéler parfois problématique, notre volonté de respecter les croyances et pratiques de chacun n’allant pas sans certains inconvénients, la coordination des agendas spirituels de tous nos collaborateurs pouvant se révéler complexe. Afin de permettre à chacun de vivre sa religion le plus pieusement possible sans empiéter sur l’espace spirituel des autres, nous avons donc décidé de complètement repenser l’organisation de nos locaux : ne comportant que des bureaux individuels sans fenêtre ne communiquant pas entre eux, ils permettent ainsi à chacun de vaquer à ses occupations sans être dérangé par les rites de ses voisins, un costume blanc une-pièce emprunté à Star Trek ayant également été imposé à tous pour ne pas prendre de risque en termes d’interprétation des textes sacrés. La cantine ne sert pour sa part bien entendu que de la purée de pois chiches expurgée de toute impureté et de l’eau non gazeuse importée des hauts plateaux népalais, seule solution afin de respecter les régimes alimentaires de chacun. Vous conviendrez donc Liliane qu’il serait quelque peu dangereux d’introduire la célébration de Noël dans ce contexte, tout prosélytisme religieux en faveur d’un culte ou l’autre pouvant briser ce subtil équilibre élaboré grâce à la bonne volonté de tous nos collaborateurs. 

2/ La figure du Père Noël ne fait par ailleurs pas consensus au sein de la rédaction, pour des raisons très variées. Une proportion non négligeable de nos collaborateurs croit pour commencer encore au Père Noël, les membres de la Confrérie du Culte des Âmes Noires ayant ainsi décrété depuis peu que le Père Noël était l’incarnation moderne d’une ancienne figure démoniaque d’une civilisation mésopotamienne oubliée, voire même inventée selon certains de leurs détracteurs. Une autre partie importante de la rédaction avoue elle avoir une peur panique de Santa Claus, voyant dans le rouge si vif de son costume l’évocation du sang répandu par Satan lors de la très prochaine apocalypse, fréquemment annoncée et ayant déjà entraîné de nombreux jours chômés cette année. Enfin, quelques-uns de nos rédacteurs les moins recommandables apprécient eux particulièrement la figure de Papa Noël mais ont vu l’exercice de cette passion limitée par la justice suite à des comportements peu dignes dont ils se seraient rendus coupables à l’égard de jeunes individus en arborant le costume incriminé, ce qui les empêchent jusqu’à nouvel ordre de donner le libre cours à cette inclination bien peu morale. Vous voyez donc Liliane qu’il serait là aussi difficile de donner à la fête de Noël l’ampleur qu’elle mérite quand la plupart de nos collaborateurs sont si démunis face à un de ses aspects les plus charmants. 

3/ Il faut enfin bien dire que la fête de Noël est pour la rédaction un moment émotionnellement pénible à vivre, pour une raison qu’il me faut maintenant Liliane vous dévoiler. Alors que fades et impersonnels blockbusters, films d’animation et romances s’apprêtent à défiler sur nos écrans, la rédaction ne peut à cette période de l’année s’empêcher de se rappeler qu’il fut un temps où Noël était aussi synonyme de qualité et d’ambition cinématographique, à mille lieux des standards actuels. Rappelez-vous en effet Liliane la belle année 1990 et le chef d’œuvre que les fêtes nous avaient alors offert avec l’incontournable et depuis jamais égalé ou même approché Maman, j’ai raté l’avion, véritable monstre sacré du cinéma d’auteur. C’est d’ailleurs en souvenir de ce don du ciel que la rédaction a choisi de débaptiser Noël pour renommer le 25 décembre le Culkin Day, évidemment en hommage à Macauley Culkin, dernier acteur de l’âge d’or hollywoodien dont nous déplorons depuis l’absence sur les écrans, par la faute de producteurs uniquement occupés de rentabilité et d’aseptisation de la culture. Si nous ne pouvons que vous déconseiller les sordides fêtes de Noël communément organisées en cette période, nous vous invitons donc Liliane vous et vos enfants à venir fêter avec nous le Culkin Day dans nos élégants et hors de prix locaux parisiens. Ceux-ci seront en effet totalement remodelés pour recréer l’univers de Maman, j’ai raté l’avion, les enfants étant invités à cette occasion à reconstituer les fabuleux pièges conçus par l’ingénieux Kevin McCallister, nos quelques collaborateurs étant encore autorisés à approcher des enfants à moins de 100 mètres se chargeant pour leur part d’enfiler des costumes de cambrioleurs pour rejouer quelques-unes des scènes les plus cocasses du film. Fêtant cette année la 13ème édition du Culkin Day, nous avons en plus décidé de mettre les petits plats dans les grands et de nous offrir les services du sosie officiel français de Kieran Culkin, le frère de Macauley, cette animation devant faire de notre fête annuelle une belle réussite.

Comme vous pouvez donc le constater Liliane, notre peu d’entrain à l’égard de Noël ne nous empêche pas de nous retrouver tous autour d’une célébration bien plus profonde, et qui devrait à l’avenir nous en sommes sûrs supplanter cette bien plate fête de Noël dans l’esprit des masses cinéphiles. 

Une parade de Noël de 3 minutes sera tout de même organisée le 28 décembre de l’entrée de nos locaux à la boulangerie La pâte à la main, les enfants de notre concierge nous ayant formulé ce souhait et nos cœurs si purs n’ayant pu leur refuser ce si simple bonheur. Le thème de cette année est encore à déterminer mais devrait tourner autour de l'univers des Dents de la Mer ou du cinéma asiatique selon le budget mis à la disposition de notre comité d'entreprise qui est mobilisé depuis maintenant 5 mois pour préparer cet événement. Un verre de l’amitié sera ensuite servi à l’issue de la célébration, auquel nous vous convions bien évidemment, ne serait-ce que pour échanger sur la façon dont chacun d’entre vous aura passé son Culkin Day. 

D’ici là je me permets de vous souhaiter Liliane de très bonnes fêtes et donc surtout un excellent Culkin Day, qui sera je n’en doute pas le plus beau de tous car le premier.

Bien amicalement,

Le médiateur.
Étonnant que ce garçon ait mal tourné

Suivre les publications sur la page Facebook / le fil Twitter 
 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire