jeudi 5 décembre 2013

Courrier des lecteurs : quel film pour un premier rendez-vous ?




Faut-il créer un scandale si vous vous retrouvez avec votre billet valide face à une salle pleine ?


Oui, tous les individus installés confortablement dans leurs sièges ne sont que de potentiels malfrats qui vous spolient de votre bien. N’ayez donc aucune honte à leur rendre la pareille en retardant s’il le faut le début de la séance, le combat pour la justice est à ce prix. Un conseil : cherchez l’emmerdeur sûr de lui reprochant à l’employé de la salle son intervention injustifiée et injustifiable sous prétexte qu’il opportune tout le monde et qui réclame un remboursement, c’est lui le coupable. Dénoncez donc le sans ménagement et prenez place dans le fauteuil vous revenant de droit. La séance peut alors commencer, bon film.


Je me suis permis d’abréger cette dernière réponse consacrée au grand chaos des fêtes sous la pression populaire croissante de certains lecteurs s’impatientant de me voir enfin aborder leurs questions les plus essentielles. J’y viens donc.
Ces gens existent quelque part, pour de vrai.



Quel film faut-il choisir pour un premier rendez-vous ?


Ça y est. L’élue de votre cœur, après des années de stratégies ultra-sophistiquées pour attirer son attention et la convaincre que vous vous conformez à l’idée qu’elle se fait de l’homme parfait, a enfin cédé à vos subtiles avances. Ne vous attendant plus après d’innombrables désillusions à cette heureuse conclusion, vous n’avez malheureusement pas trouvé mieux pour débuter cette magnifique aventure qu’une banale et impersonnelle invitation au cinéma, bien que vous n’ayez aucune envie particulière d’aller au cinéma au moment précis où vous vous entendez prononcer ces paroles fatales. 


Soit. L’erreur est regrettable mais humaine. L’important est maintenant de se recomposer si vous ne voulez pas tout perdre aussi près du but pour un simple manque de préparation. Car à moins d’être un individu génialement imprévisible capable de choisir un film au hasard deux minutes avant la séance, ce qui est peu probable compte tenu de votre performance jusque-là, il va maintenant falloir faire le plus dur : choisir le film qui marquera pour toujours votre première rencontre, parfois pour le meilleur mais le plus souvent pour le pire. Disons-le d’emblée, de ce choix dépend en grande partie l’avenir de votre vie sentimentale, qui à ce moment précis hésite entre une suite de doux moments de complicité affective et sensuelle et une éternité de regrets et d’indécision. Il est temps d’oser et d’accomplir après avoir jusque-là passé l’essentiel de votre vie à vous contenter d’essayer, il n’y a plus d’excuses qui tiennent maintenant que votre sort est entre vos doigts.


En débutant que vous êtes, vous pourriez peut-être croire que n’importe quel film fera l’affaire tant que cela vous permet de partager un rare moment d’intimité avec l’être que vous chérissez le plus au monde. C’est tout à fait touchant, mais complètement idiot et il serait grand temps que vous vous débarrassiez une bonne fois pour toutes de ces illusions puériles si vous voulez vraiment aspirer à une vie affective réussie. Votre choix en dira en réalité plus pour vous que les misérables mots qui s’échapperont plus ou moins volontairement de votre bouche, il est donc nécessaire que vous connaissez les implications de celui-ci.


Faisons donc un rapide tour d’horizon des différents genres à votre disposition à l’heure de subjuguer l’objet de vos désirs :

  • La comédie : Ce choix sera parfait si vous vous révélez deux êtres complètement compatibles et dotés d’un sens de l’humour et d’une finesse intellectuelle parfaitement assortis. C’est donc a priori une très mauvaise idée, puisque vous ne connaissez au fond rien de cette personne que vous n’adulez probablement que pour de mauvaises raisons. Tout décalage de perception du bon goût humoristique entre vous deux signifiera ainsi la fin de tous vos espoirs de réussite, vous faisant soit passer pour un imbécile heureux soit pour un sombre rabat-joie. A moins d’avoir assez étudié votre sujet pour calquer à la seconde prêt vos éclats de rires sur les siens, évitez cette erreur fatale. Si vous êtes toutefois assez idiot pour choisir 40 ans, toujours puceau pour un premier rendez-vous, je vous laisse en assumer les conséquences, pour lesquelles ce film vous sera d’ailleurs peut-être utile.
  • La comédie romantique : je ne devrais pas avoir à vous expliquer à quel point ce choix est suicidaire mais allons bon. Dans l’hypothèse la plus probable, votre moitié sera submergée par la beauté ravageuse de la romance à l’écran et en concevra un triste dégoût pour la réalité lui étant proposée à la place, votre statut de remplaçant de l’homme idéal risquant alors d’être un lourd boulet dont vous ne pourrez sans doute jamais vous débarrasser. Mais il est également possible que ce visionnage joue en votre faveur, l’objet de votre convoitise vous imaginant naïvement vous conformer aux tristes illusions défilant sur l’écran, sabotant alors par avance toute possibilité d’une relation durable saine. Inutile d’aller plus loin, soyez plus malin que ça. Seuls 7% des potentiels couples ayant été voir The Notebook lors d’un premier rendez-vous ont passé une semaine, 82% des hommes de ces rares couples vivant depuis dans la haine de Ryan Gosling.
  • Le drame : ai-je vraiment besoin de vous expliquer qu’une œuvre dissertant du doute, de la trahison, du mal-être existentiel et quasiment toujours du naufrage amoureux ne vous aidera pas à bâtir une relation fondée sur l’envie d’aller de l’avant dans la joie et l’optimisme ? L’être humain étant une petite chose, il a été établi statistiquement qu’il est incapable de ne pas s’identifier aux caricatures lui étant proposées à l’écran : 94% des couples ayant vu Blue Valentine se sont ainsi séparés moins de six mois après, les 6% restants ayant cessé toute relation sexuelle, toujours à cause de Ryan Gosling, qui est donc vraiment un sale type.
  • Le film d’action : ce choix est probablement le plus stupide de tous. Si vous avez la chance d’avoir sous la main une compagne compréhensive pour qui ce genre de goût ne vous fera pas passer pour un complet abruti, l’effet sera en réalité encore plus dévastateur car vous offrirez à cette douce personne la possibilité de vous comparer avec une armée d’athlètes bodybuildés au sourire aussi ravageur que leur aptitude à briser un mur de leurs mains nues. Gardez donc Fast & Furious pour les séances solitaires que vous pourrez vous offrir une fois saccagée cette opportunité.
  • La science-fiction : inutile de vous dire que passer pour ce que l’on appelle maintenant communément un « geek » ne risque pas de beaucoup vous aider. Évitez aussi de suggérer à l’élu(e) de votre cœur que vous avez l’intention de passer 10 heures dans la rue en décembre 2015 pour avoir une place pour la première mondiale du septième épisode de Star Wars.  Ne faites pas l’enfant.
  • Le film intellectuel : choix défendable sur le papier, celui-ci peut pourtant s’avérer le plus catastrophique de tous s’il est employé sans la préparation la plus élémentaire. En tout état de cause, nous savons tous que vous ne choisirez un tel film que pour la perspective de pouvoir faire l’intéressant après la séance en étalant sans aucune pudeur toute votre prétendue culture devant l’objet de votre affection. Prenez tout de même garde à deux effets pervers de cette attitude d’ailleurs peu digne. D’une, il est tout à fait contreproductif d’en rajouter inutilement sur votre soi-disant science infuse sur tel ou tel sujet dont vous savez pertinemment qu’il n’intéresse en réalité personne : vous ne réussirez probablement en faisant cela qu’à rabaisser votre interlocutrice ou bien même encore pire, l’ennuyer royalement, ce qui vous sera dans les deux cas fatal. Autre possibilité à ne pas exclure, n’oubliez pas que vous n’êtes qu’un misérable imposteur et qu’il est tout à fait probable que se présente un jour devant vous une personne capable de vous ridiculiser en révélant au grand jour l’ampleur de votre crasse ignorance. Inutile de dire qu’il est préférable que cette leçon ne vous soit pas administrée par votre moitié espérée, ce sans quoi vous pouvez clairement dire adieu à toute prétention à son égard, et tout respect de sa part. Je ne saurais donc que vous conseiller un minimum d’humilité au vu de l'enjeu, sachez vous contenter de fanfaronner avec vos habituels compagnons ayant depuis longtemps compris l'étendue de votre immaturité psychologique et habitués à vous laisser faire le malin pour vous donner l'impression d'exister.

La conclusion m’apparaît donc limpide : ravalez votre dignité et revenez sur votre première proposition, prétextant avoir déjà vu tous les films à l’affiche, être allergique aux housses des fauteuils du cinéma ou n'importe quelle excuse improbable pouvant vous sortir du pétrin dans lequel vous vous êtes bêtement fourré. Il me reste alors à vous laisser choisir une autre activité plus appropriée, ce qui ne devrait pas être bien compliqué. Allez bêtement boire un verre comme si vous aviez vraiment envie de rester attablé comme un imbécile au milieu d’une foule d’inconnus à boire du mauvais vin, faites une longue ballade en l’assommant de banalités sur le paysage et l’architecture des lieux, offrez-lui un repas pour instiller dans son esprit l’idée de la dépendance et de la culpabilité, allez même à la fête foraine pour lui décrocher le gros éléphant rose du stand de ball-trap si ça vous chante. Ça n’a de toute façon pas grande importance, elle est amoureuse d’un autre, qui n'aurait d'ailleurs jamais eu une idée aussi stupide. Il s'agirait de grandir.



PS : j’ai dans un premier temps écrit cette réponse en donnant dans le « il ou elle » et « élu(e) ». C’est absolument illisible et j’ai donc fait le choix qui s’impose, le masculin l’emportant toujours sur le féminin comme l’école républicaine nous l’a bien appris. Fidèles lectrices, n’y voyez toutefois aucune défiance, cet exposé vous étant tout autant adressé. Si cette lecture vous est vraiment trop insupportable, je vous encourage alors à faire vous-même un copier-coller puis un rechercher-remplacer adéquat, je n’ai pas non plus que ça à faire.

En plus d'avoir un oeil qui fait peur, cet homme est responsable d'une grande partie du malheur sur Terre


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire