vendredi 26 août 2016

Quelques liens et réflexions d'été


Cloué à l'ombre faute d'air dehors, canicule oblige, j'en profite pour partager quelques réflexions peu intéressantes :


La presse française ne prend jamais de vacances

Tout comme moi, Télérama a profité de cette fin d'été pesante pour se détendre, avec une idée plutôt bien trouvée : faire parler 4 jeunes réalisateurs français "indé" sur les blockbusters, avec à chaque fois comme prétexte un film sorti cet été (en l'occurrence, Star Trek, Ghostbusters, Suicide Squad et Le Bon Gros Géant). Les quatre victimes sont, sans ordre particulier, Thomas Salvador, Sébastien Betbeder, Rebecca Zlotowski et Davy Chou. Il est assez remarquable de noter que pour trois d'entre eux ils n'ont pas d'actualité particulière, et aucun intérêt promotionnel donc, ce qui rend l'exercice d'autant plus plaisant.

Je ne vais pas m'étendre sur le fond de la chose (vous pouvez lire tout ça ici, c'est vraiment passionnant si on s'intéresse un peu à ce qu'est censé être ou non un blockbuster, et a fortiori un blockbuster de qualité, et puis c'est aussi l'occasion de découvrir 4 cinéastes qui sont tout simplement 4 cinéphiles comme vous et moi), mais, pour résumer un peu trivialement, chacune des interviews est intéressante parce que :

- Thomas Salvador est un vrai passionné de science-fiction et de superhéros, et c'est d'ailleurs lui qui avait signé l'année dernière le fameux Vincent n'a pas d'écailles, qui se présentait comme le premier film français de science-fiction garantie sans effets spéciaux. C'était assez original, et plutôt bien fait (il ne faut vraiment pas s'attendre à de la bonne grosse SF par contre).
- Rebecca Zlotowski raconte qu'elle a longtemps eu honte d'aimer les films mainstream, parce que tous ses amis normaliens préféraient les films d'art et d'essai hongrois ou boliviens. En vrai, elle regardait en cachette Ghostbusters en VHS. Certains souffrances intérieures sont insondables.
- Dany Chou, lui, ne regardait que Kiarostami et Tarkovski quand il était jeune (famille de cinéma, ou juste pathologie mentale), alors un jour il a décidé de rattraper le temps perdu en passant un été entier à regarder tous les gros blockbusters qui tâchent des 50 dernières années. Il a découvert qu'il aimait beaucoup Alien, mais que le 1, pas le 2.
- Sébastien Betbeder dit plein de choses intéressantes sur le cinéma, et d'ailleurs, une chose en amenant une autre, j'aimerais parler un peu plus longtemps de lui.

Thomas Salvador, tout comme Vincent, n'a pas d'écailles, ou alors il les cache sous ce joli pull rouge un peu daté.


Sébastien Betbeder est un homme qui gagne à être connu

Sébastien Betbeder s'est fait connaître avec 2 automnes, 3 hivers, qui avait eu un beau succès critique à l'époque (même ici, c'est dire). Il a sorti un deuxième long-métrage il y a quelques mois : Marie et les naufragés, avec Vimala Pons, qui est absolument partout en ce moment puisqu'elle jouait aussi dans Vincent n'a pas d'écailles, et mille autres films où il y a aussi souvent Vincent Macaigne, parce que Vincent Macaigne est partout lui aussi, même dans les films où il n'y a pas Vimala Pons, mais au moins une personne qui a envie de se tirer une balle dans la tête, juste pour rire, ou pas.

Mais pour en revenir à Sébastien Betbeder, ce qu'on sait moins de Sébastien Betbeder c'est qu'il a aussi sorti en 2014 un objet cinématographique assez étrange, mais avait beaucoup plu au sein de la rédaction de SLETO, avant qu'elle ne prenne de longues vacances : Inupiluk / Le voyage que nous ferons au Groenland.

A partir de là, deux solutions : soit le sujet vous intéresse mais pas ce que je vais raconter, et dans ce cas vous pourrez lire l'excellente interview de Sébastien Betbeder dans Télérama où il explique tout, soit vous restez un peu plus longtemps, à vos risques et périls.

Essayons d'expliquer, donc. Inupiluk / Le voyage que nous ferons au Groenland est une succession de deux courts-métrages :

- Le premier, Inupiluk, est une fiction plus ou moins classique, qui voit deux Inuits du Groenland débarquer à Paris, et être baladés en France par deux Parisiens un peu paumés qui n'avaient pas prévu ça, interprétés par Thomas Blanchard et Thomas Scimeca. C'est plutôt cocasse, et ça dure 30 minutes. Jusque là, tout va bien.

- Le second, Le voyage que nous ferons au Groenland, n'était pas prévu, lui, mais il a germé dans l'esprit de Sébastien Betbdeder quand France Culture lui a proposé de réaliser un court documentaire. En fait, le court-métrage qui est en sorti est plus un mockumentary, qui met en scène les deux acteurs d'Inupiluk quelques mois après : un beau jour Betbdeder leur file un rendez-vous, et leur explique qu'il se verrait bien tourner un nouveau film avec eux, mais un long-métrage cette fois, et au Groenland, chez les fameux Inuits de la Terre Verte. Cocasse là encore. Un faux documentaire donc, mais pas que en même temps, parce que l'histoire est véridique (il y aura bien un film au Groenland, je vais y revenir), mais ces petites scénettes ne le sont pas vraiment, elles, ou on imagine en tout cas, ou on ne sait plus vraiment, à vrai dire. Bref, tout ça est assez confus, et c'est ce qui est intéressant je trouve, parce qu'en plus les deux Thomas sont assez forts pour jouer au chat et à la souris, et à la fin on ne sait plus trop quoi en penser. Etrange.

Et ça ne s'arrête pas là. Dans la réalité, la vraie, il y aura vraiment un film qui s'appelle Le voyage au Groenland, de Sébastien Betbeder, avec Thomas Blanchard et Thomas Scimeca. Ca sortira à la fin de l'année, et un premier extrait, assez loufoque, évidemment, est déjà sorti :


J'ajoute, parce que ça n'en finit jamais, que ce film a été aussi l'occasion pour Sébastien Betbeder d'imaginer un projet "transmédia" assez novateur, avec websérie parodique sur les vraies-fausses coulisses, journal de bord du réalisateur, vraies séquences documentaires sur la vie au Groenland, bref plein de choses modernes et innovantes qui plairaient sans doute beaucoup à Emmanuel Macron. Blague à part, le site du projet est , et je trouve tout ça assez osé, vraiment original, et donc, en résumé, je dirais que j'aime bien ce que fait Sébastien Betbeder.

Sébastien Betbeder, en vrai, enfin je crois. On n'est jamais vraiment sûr de rien.



mardi 21 octobre 2014

Magic in the moonlight

Comédie dramatique US de Woody Allen - 1h38
Avec Colin Firth et Emma Stone

Les férias du Sud de la France s'embourgeoisent de plus en plus ...

Woody Allen qui retrouve l’Europe, ça n’était à première vue pas la nouvelle de l’année.  Un an après avoir reconquis en partie le public et la critique avec Blue Jasmine, on se serait ainsi bien passé d’une nouvelle escapade française dans la filmo de Woody, qui n’avait pas été loin de toucher le fond avec To Rome with Love, dernière étape très dispensable de sa grande tournée européenne. Ce qui frappe pourtant dès les premiers instants dans Magic in the moonlight, c’est que Woody Allen n’est pas revenu sur notre Vieux Continent pour nous refaire le pénible coup de la carte postale, procédé de plus en plus périmé où le superficiel des dorures et du folklore pour touristes semblait prendre le pas sur l’intelligence des études de mœurs.

Malgré la beauté des cadres et des lumières, Magic in the moonlight n’est ainsi pas la laborieuse reconstitution historique des années folles sous le soleil de Provence que l’on aurait pu attendre de la part d’un réalisateur qui n’avait retenu de Paris que Versailles et l’île Saint-Louis pour son très schématique Midnight in Paris. Finis aussi les castings à rallonge de To Rome with Love et You Will Meet a Tall Dark Stranger où il semblait chercher obstinément à se raccrocher à l’air du temps en s’affichant avec tous les derniers acteurs à la mode, d’où des films choraux sans grande colonne vertébrale.

Au lieu de cela, Magic in the moonlight est un film certes pas très neuf, on y retrouve les éternelles interrogations existentielles de l’enfant de Brooklyn, mais d’une simplicité et d’une efficacité assez redoutable. Abandonnant nombre d’artifices, Woody Allen revient à ce qu’il sait faire le mieux : un scénario simple et bien dialogué, des personnages parfaitement stéréotypés mais tout aussi bien caractérisés et un fil rouge philosophique donnant de la cohérence au tout. 

Surtout, il retrouve la malice que l’on peinait de plus en plus à discerner dans ses dernières productions, une intelligence bienvenue qui place ce Magic in the moonlight dans la grande tradition des screwball comedy US où le vieux mâle imbu de lui-même finit toujours par se faire donner la leçon par la jeune ingénue, ici interprétés par Colin Firth et Emma Stone. Mais s’il y a beaucoup de Lubitsch ou de Wilder dans cette charmante fable métaphysico-romantique, tout le talent de Woody Allen est aussi de faire du neuf avec du vieux. 

Rien n’est en effet révolutionnaire ici : éternel cadre bourgeois, éternelle ritournelle jazzy en thème musical, éternel hésitation existentielle entre le pessimisme matérialiste le plus total et la crédulité spirituelle la plus absolue, et bien sûr éternelle romance de deux êtres que tout oppose pourtant … Là-dedans, tout est donc affaire de dosage et d’intelligence dans la façon d’amener le cours des choses, que l’on devine plus ou moins dès le début. Magic in the moonlight tient alors tout entier dans la théâtralité de ses situations et l’acuité des face-à-face entre les deux héros, sublimée à  la fin du film dans une géniale et loufoque demande en mariage qui est sans doute l’un des meilleures scènes que nous ait offert Woody Allen depuis un paquet de temps.

Au rang des surprises on retiendra par contre le vrai tempo comique d’un Colin Firth que l’on n’attendait sûrement pas aussi efficace dans ce rôle de magicien dépressif obsédé par la raison que Woody Allen semble avoir pris un plaisir particulier à écrire, double évident de lui-même. Étonnant d’ailleurs que ces deux-là aient mis si longtemps à se trouver tant Colin Firth semblé né pour jouer du Woody Allen avec son flegme à  l’anglaise et sa capacité à s’auto-caricaturer. On appréciera aussi le choix d’Emma Stone tant Woody Allen semblait galérer depuis des années pour trouver une actrice comique digne de ce nom, au point d’avoir eu l’idée folle de faire jouer Scarlett Johansson dans des comédies … Un casting dans l’ensemble resserré mais sans faute de goût (à noter le trop rare Hamish Linklater en playboy amoureux transi), ce qui résume bien le succès d’un film qui s’en tient à l’essentiel.

La bande annonce


mercredi 24 septembre 2014

Elle l'adore

Comédie dramatique française de Jeanne Herry - 1h45
Avec Sandrine Kiberlain et Laurent Laffite

Rencontrer Kev Adams en vrai : une expérience dont on ne ressort pas indemne

Présentation : Muriel est méga-fan du célèbre chanteur Vincent Lacroix, jusqu'au jour où celui-ci s'immisce dans sa vie de façon assez surprenante ... Ce film a été réalisé par Jeanne Herry qui est dans la vraie vie la fille de ... Julien Clerc (et Miou-Miou accessoirement). Je vous laisse faire le rapprochement comme des grands.

A première vue, c'est à dire grâce à la bande-annonce et la présentation forcément sommaire d'Allociné, on pouvait a priori s'attendre à :
  • une comédie ? Étrange vu le thème quand même un peu glauque mais c'est en tout cas comme ça que notre Allociné préféré le référence. On imaginerait plutôt une "comédie dramatique" à mi-chemin entre poilade et tragédie, c'est en tout cas ce que la bande-annonce laisse plutôt croire.
  • une réflexion sur la starification et l'idolâtrie, avec Sandrine Kiberlaim en fan un peu excessive. Un Confessions Intimes un peu plus sophistiqué en quelque sorte.

Autant le dire tout de suite, Elle l'adore n'est rien de tout ça et tant mieux. Pas d'apitoiement larmoyant sur une pauvre petite esthéticienne incapable de donner un autre sens à sa vie que d'aduler un homme qu'elle ne connaît même pas. Pas non plus de mélange des genres entre comédie et drame car, malgré quelques situations comiques souvent bien trouvées, Elle l'adore n'a vraiment rien d'une comédie, ni d'ailleurs vraiment d'un drame non plus.

Non, Elle l'adore est en fait un polar tout simple mais surprenant de maîtrise, souvent malin là où on ne l'attend pas forcément. Le film de Juliette Herry réussit en effet l'étonnant pari d'être un vrai film de genre sans quasiment aucune subtilité esthétique, porté par la seule force de son scénario et de son casting. Un scénario d'ailleurs lui aussi assez surprenant qui part d'emblée à 200 à l'heure, évacuant tout de suite la tentation du pesant drame psychologique.

Contrairement à ce qu'on pouvait pressentir, Elle l'adore n'est pas un face-à-face entre Sandrine Kiberlaim et Laurent Laffite, qui ne communiquent d'ailleurs au final presque jamais ici, mais plutôt une succession de numéros de solistes où chacun des deux excelle à tour de rôle. Car une des grandes forces du film est bien la prestation assez jouissive de deux acteurs à qui Juliette Herry demande un double jeu, puisqu'il s'agit ici justement pour leurs personnages respectifs de se dissimuler du début à la fin. Mise en abîme assez exigeante pour laquelle il fallait deux acteurs absolument impeccables, capables de domestiquer la moindre intonation ou expression du visage : c'est chose faite avec ces deux-là, et ce jeu fascinant transcende petit à petit un film qui aurait pu au début n'apparaître que comme un banal polar TV. Si ce n'est pas vraiment une surprise pour Sandrine Kiberlain, dont on savait belle lurette qu'elle pouvait à peu près tout jouer, c'est une confirmation un peu plus rassurante pour Laurent Laffite, certes sociétaire de la Comédie Française mais aussi habitué des nanars ces dernières années.

On pourra bien sûr pointer quelques défauts : une mise en scène très sommaire, une histoire dans l'histoire un peu absurde, une fin un peu courte ... Des défauts qui rappellent tous que le long-métrage de Jeanne Herry est plus une agréable surprise qu'un chef d’œuvre, mais qui n'enlèvent cela dit rien à l'expérience offerte au spectateur. Elle l'adore est en effet bel et bien un film devant lequel on ne s'ennuie jamais et qui continue de surprendre (un peu) jusqu'à la fin, et c'est quand même là le signe d'une œuvre plus que réussie.

Note : 8 (Barème notation)

La bande-annonce


dimanche 21 septembre 2014

3 coeurs

Drame français de Benoît Jacquot - 1h46
Avec Benoît Poelvoorde, Charlotte Gainsbourg, Chiara Mastroianni, Catherine Deneuve

C'est toujours sympa d'aller se balader le dimanche

Présentation : Marc rencontre par hasard Sylvie, tombe amoureux mais rate la chance de la revoir. Il rencontre par contre Sophie, qui est sa sœur mais il ne le sait pas. C'est compliqué. 

Le cinéma de Benoît Jacquot n'a certes jamais brillé par sa légèreté mais forcé de constater qu'avec 3 Cœurs, l'homme de l'année 2012 (Césars du meilleur film et du meilleur réalisateur pour Les adieux à la reine, rien que ça) n'a pas peur d'en rajouter une couche.

Car autant dire tout de suite que pour apprécier 3 Cœurs, mieux vaut aimer les bons gros mélodrames à l'ancienne. Noyé dans une bande-son de Bruno Coulais absolument assourdissante et qui indique à des kilomètres chaque mini-tournant dramatique, 3 Cœurs n'est ainsi pas un film qui prend le risque de perdre son spectateur. Au lieu de cela, Benoît Jacquot fonce tête baissée dans un polar parfois à la limite du pompeux, impression que ne dissipent sûrement pas les irruptions assez incompréhensibles d'une voix-off franchement ridicule. Ceci mis à part (mais c'est déjà beaucoup...), la qualité de la mise en scène reste certes plus qu'acceptable mais on se demande tout de même parfois si l'on est plus proche de Hitchcock ou d'un polar bas de gamme au vu du schématisme certain de certaines scènes et dialogues.

Tout ça est d'ailleurs dommage car aussi invraisemblable que soit cette histoire (j'ai beau retourner la chose dans tous les sens j'ai du mal à y croire), Benoît Jacquot avait quand même en main un casting plus qu'intéressant, et qui parvient d'ailleurs à tirer vers le haut un film qu'il passe pourtant son temps à tirer vers le bas à coups de violons et de voix-offs absurdes. Ce trio Charlotte Gainsbourg / Chiara Mastroianni / Catherine Deneuve a ainsi fière allure et il n'est pas rare de se perdre dans le regard de ces trois grandes dames, qui savent assez bien contrebalancer la lourdeur de certaines séquences par la subtilité de leurs jeux. Bien que persuadé depuis longtemps que Benoît Poolvoerde est un formidable acteur dramatique au moins autant qu'un bouffon, j'ai par contre peur d'être un peu moins convaincu par sa performance ici, ce dernier semblant justement incapable de se défaire de l'emprise de Benoît Jacquot. Souvent plus caricatural qu'émouvant, notre belge préféré exagère sans doute un peu sur les stupeurs et les tremblements (au sens littéral d'ailleurs), jusque dans une dernière scène qui achève un personnage malheureusement très moyennement crédible. Un défaut de taille qui pèse sur un drame qui peine à émouvoir à force d'en faire des tonnes, et dont la construction de son héros est finalement la parfaite illustration.

Reste un film qui ne se perd pas complètement en chemin et qui malgré quelques longueurs a au moins le mérite de dérouler de façon plutôt habile le cours de son histoire. On appréciera d'ailleurs sa conclusion assez bien trouvée, et dont la simplicité aurait sans doute gagné à se manifester plus souvent dans ce film.

Note : 6,5 (Barème notation)

La bande-annonce


dimanche 14 septembre 2014

Sex Tape

Comédie US de Jake Kasdan - 1h35
Avec Cameron Diaz et Jason Segel

L'après How I Met Your Mother pour Marshall : enfin débarrassé de la rouquine et de cet affreux bébé

Présentation : Jake Kasdan avait déjà dirigé Cameron Diaz et Jason Segel en 2011 dans le pas fin mais correct Bad Teacher. Coïncidence ou pas, il les retrouve ici avec un concept pas bien compliqué à comprendre et très dans l'air du temps : papa et maman s'ennuient, font une sex tape, se foirent sur la confidentialité de la chose et se retrouvent à ramer à toute vitesse pour rattraper le coup. Vous l'aurez compris, l'heure est à la finesse.

Sex Tape arrive en France avec une réputation assez exécrable : assassiné par la critique aux États-Unis, le dernier film de Jake Kasdan n'a pas vraiment eu meilleure presse de ce côté de l'Atlantique. Tout portait donc à croire que ça sent mauvais.

Étrange unanimité car ce Sex Tape, si l'on ne va pas chercher plus loin qu'une gentille comédie un peu trash, est loin de mériter un tel déferlement de haine. Il n'est ainsi sûrement pas difficile de trouver une bonne dizaine de comédies françaises à gros budget moins bien écrites et interprétées que ce film, au passage quand même écrit par Jason Segel lui-même avec son éternel acolyte Nicholas Stoller. Un duo que j'étais personnellement bien content de retrouver après le discutable Nos pires voisins où Stoller s'aventurait pour la première fois à la jouer solo dans Segel.

Car avec Segel et Stoller à l'écriture , ça n'est jamais très fin mais c'est généralement l'assurance de quelque chose d'un peu pêchu. Très schématique, sans autre ambition que rigoler un bon coup d'un phénomène de société sans grande réflexion de fond, Sex Tape n'est ainsi pas le film de l'année mais franchement pas le plus mauvais non plus, ne serait-ce que par la puissance comique toujours intacte de Jason Segel, chez qui la folie douce est vraiment une seconde nature.

Il est aussi vrai que le film de Jake Kasdan a un peu le cul entre deux chaises : probablement trop trash pour ceux qui y chercheront une gentille comédie familiale, sans doute trop gentillet pour ceux qui y chercheront un délire total à la Very Bad Trip, ce Sex Tape partait sûrement avec le désavantage de vouloir jouer sur les deux tableaux, sans être assez costaud pour gérer les turbulences que ce mélange des genres occasionne forcément.

C'est dommage car Sex Tape est tout de même un film plutôt efficace, dont le scénario évite même assez habilement un certain nombre de pièges pour un résultat au final assez enlevé, et surtout sans vraies longueurs ce qui reste le juge de paix pour une comédie de ce type. Si le cadre reste bien sûr assez étroit, celui de la bonne comédie familiale avec papa maman et leurs deux charmants enfants, on retrouve tout de même l'humour puéril clinquant de Segel et Stoller qui va toujours au bout du bout de la caricature, et n'hésite pas à aller même encore un peu plus loin au risque de se planter. Un humour forcément clivant et un peu bas de gamme mais qui comporte cela dit un vrai courage, celui de ne jamais avoir peur du bide. Ce faisant, le Sex Tape de Jake Kasdan est un machine ultra-spontanée qui ne semble jamais vraiment faire de pause ou réfléchir une seconde à ce qu'elle fait, trop occupée à enchaîner les gags et à laisser Jason Segel faire l'étalage de tous ses talents, enfin libéré de ce boulet nommé Marshall Eriksen (je pourrais personnellement facilement rester deux heures rien qu'à le regarder faire le zouave, cet homme a quelque chose d'absolu en lui).

Il n'y a c'est vrai rien de très noble là-dedans, mais ça n'en est pas moins (parfois) très drôle. On aimerait pouvoir le dire de quantité d'autres films mieux référencés.

Note : 7,5 (Barème notation)

La bande-annonce


jeudi 11 septembre 2014

Mademoiselle Julie (Miss Julie)

Drame norvégien de Liv Ullmann - 2h13
Avec Jessica Chastain et Colin Farrell

L'adaptation cinéma du livre de Valérie Trierweiler s'annonce lyrique. Ici la scène de rencontre avec Michel Sapin.

Présentation : pièce culte du dramaturge suédois Augsut Strindberg (1889), Mademoiselle Julie est loin d'en être à sa première adaptation mais n'en finit apparemment pas d'exciter la curiosité des cinéastes, toute générations et contrées confondues. C'est donc aujourd'hui Liv Ullmann, ancienne égérie et épouse d'Ingmar Bergamn, qui s'atèle à la tâche de cette œuvre qui fit largement scandale à l'époque : en 1890 en Irlande, la jeune et noble Mademoiselle Julie s'éprend de John, simple valet de la maisonnée.  Feux et passions garantis.

Le propre des adaptations, c'est souvent de décevoir. A l'heure d'adapter un des textes les plus adaptés du XXème siècle, Liv Ullmann devrait donc bien se douter que nombre de passionnés l'attendaient au tournant. Et justement le propre du passionné, c'est souvent de crier au diable quand un impertinent ose s'attaquer à l'original, forcément coupable de dénaturer le texte sacré.

L'avantage de ce Mademoiselle Julie, c'est qu'il n'empêchera sûrement pas de dormir ceux qui affichent fièrement le volume de Strindberg dans leur belle bibliothèque. Pas de danger en effet de ce côté-ci, le long-métrage de Liv Ullmann a bien tous les brevets de fidélité au texte, dont sans doute quelques uns de trop.

Car là où le film ravira en effet sûrement les puristes, il ne semble jamais faire l'effort de prendre par la main les autres, trop obsédé par un académisme extrême qui ne lui autorise aucune respiration ou innovation. Plus théâtral que cinématographique, l'adaptation de Liv Ullmann ne se donne ainsi pas beaucoup d'atouts pour être autre chose que du théâtre filmé, l'absolue fidélité au texte du début à la fin finissant presque par devenir une prison pour une œuvre qui méritait sans doute mieux que ce rigorisme très scandinave.

A moins d'être séduit d'emblée par ce texte et cette histoire, qui ont malheureusement sans doute pris quelques rides, difficile ainsi de rentrer dans un film qui n'aide pas beaucoup à aller voir au-delà des longueurs et des répétitions dramatiques d'une œuvre tout de même un peu datée. C'est dommage car le fond du texte reste puissant et un quelconque parti-pris artistique, une forme de modernisation de la forme sans altérer le fond, aurait sans doute permis de mieux porter le très profond message de l’œuvre, d'un existentialisme macabre tout à fait fascinant.

En refusant ce travail d'actualisation, on pense par exemple à la très belle adaptation des Hauts de Hurlevent par Andrea Arnold, Liv Ullman n'aide d'ailleurs pas non plus ses acteurs, qu'elle met finalement au défi de faire le film par eux-mêmes. Un défi inhumain et impossible à relever, notamment pour un Colin Farrell jamais vraiment crédible et que l'on a décidément trop vu jouer l'abruti dans quantité de navets pour le prendre soudainement au sérieux, surtout dans un rôle aussi viscéralement théâtral. Plus appréciable est la performance de Jessica Chastain, mais s'il ne s'agit que de donner des notes on se doutait bien à l'avance que la rousse la plus in des années 2010 ne serait pas complètement à la ramasse. C'est d'ailleurs en grande partie grâce à elle que le film parvient tout de même à dispenser quelques vrais moments de cinéma par-ci par-là, même si son improbable couple avec Colin Farrell paraît encore plus mal assorti que celui qu'ils essaient de rendre crédible à l'écran.

Difficile donc de vraiment s'attacher à cet objet très froid, pas dénué de grandeurs mais n'arrivant jamais vraiment à communiquer avec notre temps.

Note : 6,5 (Barème notation)

La bande-annonce


mardi 9 septembre 2014

Gemma Bovery

Comédie dramatique française d'Anne Fontaine - 1h39
Avec Fabrice Luchini et Gemma Arterton

Luchini, le prototype même du mec au-dessus de tout soupçon

Présentation : Martin Joubert, typique bobo parisien reconverti en boulanger à la campagne, vit d'apparents paisibles vieux jours dans un petit village normand quand apparaît l'étrange Gemma Bovery, quasi homonyme de la fameuse héroïne de Flaubert. Une coïncidence qui n'échappe pas à Martin, aussi passionné de Flaubert qu'intrigué par cette nouvelle venue ...

Pré-critique :

A l'heure d'aller découvrir Gemma Bovery, il est difficile de ne pas se poser tout un tas de questions tant ce film ballade avec lui un paquet d'interrogations. Dans l'ordre d'évidence :
  • Une adaptation d'une BD elle-même adaptée de Madame Bovary ? Et à quand l'adaptation de cette adaptation ? A noter que c'est la deuxième adaptation de suite pour Anne Fontaine après Perfect Mothers (qui venait lui-même après le très dispensable Mon pire cauchemar ... ) : de là à penser qu'Anne Fontaine est en panne d'inspiration, il n'y peut-être qu'un pas ...
  • A l'heure où le livre de l'ex Madame Hollande cartonne en librairie, ça n'est en même temps pas complètement catastrophique qu'une œuvre littéraire un peu moins triviale ait elle aussi le droit à un peu de publicité gratuite ... peu probable que Flaubert ait autant les faveurs de Closer et Public cela dit.
  • Au-delà de cette adaptation, on ne peut s'empêcher de penser en voyant Gemma Arterton s'embarquer dans cette aventure que voilà un film qui ressemble terriblement à un certain Tamara Drewe, qui décrivait une jeune et charmante femme débarquant au beau milieu de la campagne anglaise et qui avait justement en partie révélé ... Gemma Arterton. Ah oui et puis le personnage joué par Gemma Arterton s'appelle ... Gemma. A ce degré de coïncidences là, difficile de croire encore au hasard.
  • Après l'excellent Alceste à Bicyclette, exiler Fabrice Luchini loin de Paris pour voir comment survit un bobo à 500 bornes de Saint-Germain-des-Près est apparemment devenu un genre à part entière. Pourquoi pas, on a vu largement pire dans le cinéma français.

Sur ce, il est donc temps d'aller voir à quoi peut donc bien ressembler ce curieux cocktail.

(cette façon de présenter les films n'a pas forcément vocation à devenir une habitude, mais ça me paraissait assez utile dans le cas présent, et puis j'avais peur d'oublier tout ça une fois vu le film je l'avoue ...)

Critique :

Le propre des bandes-annonces est de duper, c'est bien connu. A la vue de celle de Gemma Bovery, difficile ainsi de s'attendre à autre chose qu'une gentillette fable provinciale, où la recette du bon vieux vaudeville serait relevée par quelques notes d'un Luchini des familles, plus que jamais grincheux et lyrique à la fois.

Erreur car Gemma Bovery est un de ces rares films qui vaut mieux que ce que son court matraquage publicitaire en laisse paraître. A chercher des parallèles comme je l'ai fait abondamment juste avant, j'avais ainsi laissé passer en route celui qui devient vite évident au bout de quelques scènes. Cette histoire d'un homme obsédé par la vision du romanesque dans sa petite vie bourgeoise assoupie a en effet tout d'une réjouissante suite du Dans la maison de François Ozon, qui s'attachait déjà assez intelligemment (et déjà avec Luchini ...) à explorer ce qu'il y a de littéraire dans toute vie, et inversement serait-on tenté de dire.

Plus qu'une banale comédie, ce Gemma Bovery est ainsi une vraie comédie dramatique au sens noble du terme, où le comique et le dramatique parviennent à coexister sans que l'un finisse par totalement étouffer l'autre, même si l'on s'étonnera peut-être tout de même d'un épilogue final certes très drôle mais un peu hors sujet. Comme Ozon encore, on retrouve d'ailleurs aussi chez Anne Fontaine, que l'on avait pas devinée aussi heureuse de filmer depuis un moment, un certain art de jouer avec ses personnages comme avec des marionnettes, qui rappellera évidemment celle d'un narrateur de roman. A la croisée de la BD (pour l’œuvre originale), du roman et du cinéma, Gemma Bovery est ainsi un film certes parfois en apparence un peu maladroit mais osant assez pour conserver son intérêt jusqu'au bout, qui aurait pu s'évanouir s'il ne s'était agi que d'une bête adaptation moderne de Madame Bovary.

Impossible enfin de ne pas parler de Fabrice Luchini, à qui revient justement le fameux rôle de narrateur et qui semble à peu près tout être dans ce film : narrateur donc, mais aussi personnage, acteur, double de lui-même, réalisateur, auteur, ... Ce film est bien le sien de la première à la dernière seconde malgré la prestation convenable de Gemma Arterton, car ce Fabrice Luchini est passé depuis un bon moment déjà dans la catégorie des acteurs plus grands que leur propre image ou personnage, capable d'inspirer auteurs et réalisateurs par leur simple présence. Jamais il ne nous vient ainsi à l'esprit que ce Gemma Bovery aurait pu ne pas être écrit pour lui, ce qui est pourtant bien le cas, et il y a là tout un testament à ce que représente aujourd'hui ce Luchini là dans le cinéma français. On pourra toujours bien sûr objecter que l'on n'est pas loin d'une forme de facilité à ne se reposer que sur une pure caricature pour soutenir des films entiers, mais certaines caricatures sont tout de même plus réussies que d'autres et il n'y avait de toute façon sûrement que Fabrice Luchini pour savoir aussi bien donner forme à ce grand littérateur mi-désabusé mi-euphorique, tout étriqué dans sa retraite normande un peu pathétique.

Une démonstration presque peut-être trop clinquante car il est possible au final que, comme souvent, ce Luchini là écrase un peu tout le reste du film et des acteurs, du coup parfois renvoyés à leur simple statut d'êtres humains non luchiniens. C'est aussi le paradoxe d'un film où Anne Fontaine essaie jusqu'au bout de tenir la promesse d'une affiche qui promettait un vrai duo à l'écran mais où seul Fabrice Luchini semble avoir les clés pour se mettre à la hauteur du défi, Gemma Arterton aussi charmante soit-elle semblant ainsi parfois un peu perdue dans un film qui ne lui donne jamais vraiment les moyens de sortir d'un très étroit cadre, en image d’Épinal so british. Cela a au fond une forme de cohérence puisque Gemma Bovery est bien l'histoire de Gemma Bovery vue par Martin Joubert, mais cela empêche peut-être aussi de complètement profiter de l'effet de drame quand celui-ci finit par pointer son nez ...

La scène finale dont j'ai déjà parlé suffira ainsi sans doute à convaincre les sceptiques que tout cela est finalement un peu trop bassement trivial, mais elle ne rayera quand même pas toutes les qualités d'un film qui fait assez souvent preuve d'intelligence pour sortir du lot.

Note : 8 (Barème notation)

La bande-annonce


mercredi 3 septembre 2014

Obvious Child

Comédie romantique US de Gillian Robespierre - 1h23
Avec Jenny Slate, Jake Lacy, Gaby Hoffmann

L'expédier par Colissimo au plus offrant : un moyen efficace pour vous débarrasser d'un ami qui ne vous sert plus à rien

Présentation : Donna, apprentie comique qui galère dans les bars de stand-up de Brooklyn, se fait larguer par son mec qui a eu la bonne idée de coucher avec sa meilleure amie, et décide logiquement d'oublier ses malheurs avec le premier venu. Les relations sexuelles non protégées ont malheureusement parfois des conséquences inattendues et la situation de la pauvre Donna va alors en empirant ...

A y regarder de loin, Obvious Child, sympathique comédie romantique plutôt prévisible, vaut surtout par le talent de son interprète principale. Éphémère habituée du Saturday Night Live il y a quelques années, pour l'instant moins renommée que quelques unes de ses anciennes camarades (Kristen Wiig, Amy Poehler ou Maya Rudolph par exemple), Jenny Slate fait preuve ici d'une présence comique assez remarquable, transposant parfaitement dans l'univers féminin un style stand-up jusque là largement cantonné aux hommes. Ce mariage entre sketchs et fiction initié il y a maintenant plus de 20 ans par Jerry Seinfeld dans sa série du même nom, et récemment remis au goût du jour par Louis C.K dans sa série également éponyme, est assez habilement décliné sur grand écran et donne l'occasion à Jenny Slate de faire tranquillement l'étalage de son talent, ce qui suffit déjà à rendre ce Obvious Child tout à fait plaisant. Au rayon des influences, impossible également de ne pas aller chercher du côté de la longue tradition de l'humour juif, une caractéristique d'ailleurs clairement assumée dans le film, le goût de l'héroïne pour l'auto-flagellation renvoyant aux meilleurs moments de Woody Allen ou Larry David. Bref, un film complètement new-yorkais. 

Jenny Slate n'est d'ailleurs pas loin de tirer toute seule un film nettement plus convenu que ses saillies comiques (qu'elle a d'ailleurs elle-même écrites), pas vraiment aidée en cela par un soupirant (Jack Lacy) un peu trop investi dans son personnage de gentil garçon soporifique, et par un scénario sans grande surprise.

Et pourtant, à y regarder de plus près, Obvious Child est un film plus surprenant qu'il n'y paraît d'abord. La comédie de filles nouvelle génération est ainsi un genre relativement récent et jusque là écrasé par le poids de Judd Apatow, qui en a produit pour l'instant le plus grand succès succès (Mes meilleures amies écrit et interprété par Kristen Wiig). Problème, la comédie d'Apatow n'a jamais été un lieu très propice à autre chose qu'aux blagues de mecs, étant en cela tout sauf féministe, chaque final d'Apatow depuis Superbad rappelant bien que cette joyeuse bande de fumeurs de spliff est soit extraordinairement lâche soit formidablement réac et n'a finalement rien d'autre à nous offrir comme morale que le bon petit rêve américain à papa.

En apparence audacieuse, la nouvelle comédie à la Apatow, qui a profondément changé tout le paysage de la comédie US depuis 10 ans, garde ainsi un paquet de tabous quand on y réfléchit bien, et notamment un : l'avortement. Chez Apatow, comme dans à peu près toutes les comédies américaines grand public depuis la nuit des temps d'ailleurs, on ne se pose ainsi même pas la question de savoir s'il est bien sage d'enfanter en cas d'accident alcoolisé. C'est d'ailleurs le scénario même, au fond profondément débile, de En cloque, mode d'emploi, mais on retrouve l'idée dans le reste de sa filmographie, sans généralement la moindre nuance. Le simple mot d'avortement ne semble même pas exister, sorte de concept diabolique dont la seule évocation pourrait attirer la colère divine. Alors certes Apatow a aussi produit Girls, une des seules séries US à avoir abordé frontalement le sujet ces dernières années, mais on n'a pas l'impression que ce soit lui qui l'ait soufflé à Lena Dunham, qui a plutôt l'air d'une grande fille capable de prendre ses propres décisions. Et à voir le final ridicule du dernier film labellisé Apatow (Nos pires voisins), il semble d'ailleurs bien que cette tendance de fond ne soit pas près de bouger.

Tout l'intérêt d'Obvious Child est alors de se démarquer complètement de cette lourde filiation, et d'aller donc chercher ses influences ailleurs, justement un peu dans Girls même si l'on est là dans une forme de narcissisme qui tourne un peu moins en rond, et dans le reste de la comédie new-yorkaise en général. Obvious Child, c'est ainsi au fond la côté Est libérale contre l'Amérique conservatrice. Dans l'esprit de Gillian Robespierre, il n'est en effet jamais question de faire de cet Obvious Child un débat sur l'avortement et de faire de Jenny Slate une Juno au rabais. En montrant simplement l'avortement comme ce qu'il est sans chercher à le sur-dramatiser ou au contraire à en minimiser l'importance, elle parvient à traiter intelligemment un sujet tabou et à faire de cette comédie de filles une simple comédie de mœurs, que l'on pourra apprécier en étant une fille ou pas parce qu'il n'est pas interdit de penser que ces sujets appartiennent à tout le monde. Il reste à démontrer que le cinéma puisse changer quoi que ce soit en la matière, surtout quand on connaît la méfiance de l'Amérique à papa concernant tout ce qui sort de la Big Apple, mais ça ne retire rien à l'intelligence du propos, à saluer.

* Sauf quand Donna en vient en prononcer la maintenant sempiternelle formule "I am a mess", passage obligé d'à peu près toutes les comédies centrées sur des jeunes adultes depuis Garden State, l'Auberge Espagnole, ou Girls donc qui en use et abuse.

A noter d'ailleurs pour continuer sur ce thème que le titre du film provient d'une chanson de Paul Simon du même nom (à écouter par ici). La présence côté bande-son du meilleur pote de Garfunkel, icône par excellence de l'Amérique progressiste depuis les années 60, est en effet bien la preuve que l'on est ici un peu au-dessus de la mêlée de la production US habituelle. Possible alors que ce Obvious Child rejoigne la longue tradition des films américains marchant mieux à l'export que dans leur propre patrie, pas toujours très réceptive à des subtilités souvent grossièrement qualifiées d'européennes. Tant pis pour eux.

Pour l'anecdote enfin, les amateurs de séries comiques US pourront ici retrouver deux vieux amis :
  • Richard Kind, l'excellent Paul dans Spin City
  • David Cross, l'exceptionnel Tobias Fünke dans Arrested Development

Note : 8 (Barème notation)

La bande-annonce


lundi 1 septembre 2014

22 Jump Street

Comédie US de Phil Lord et Christopher Miller - 1h52
Avec Jonah Hill et Channing Tatum

La campagne 2017 de Nicolas Sarkozy s'annonce folle

Présentation : après leurs exploits au lycée du 21 Jump Street, les deux compères Schmidt et Jenko repartent en mission spéciale mais cette fois au 22 Jump Street, à la fac. Ça risque d'être l'orgie, forcément.

Le syndrome de la suite, surtout en comédie, on le connaît depuis longtemps. On prend les mêmes et on recommence mais sans se fouler, on vit sur les mêmes quelques gags qui avaient déjà marché et qui devraient bien remarcher une deuxième même si ça sent un tout petit peu le réchauffé, puisque au final la comédie c'est un genre mineur donc les gens ne feront pas attention et ils riront quand on leur dira de rire.

21 Jump Street était assez fou de bêtise et d'énergie infinie, on pouvait donc s'attendre à ce que 22 Jump Street ça soit un peu pareil mais en moins bien, forcément.

Après les 10 premières minutes, pas loin d'être infectes, on a très peur parce qu'effectivement les mecs ont l'air de se reposer bien lourdement sur leurs acquis et d'envoyer la sauce et les cascades avec les millions de dollars qu'on leur a rajouté au budget après le carton du 21.

Au bout d'une demi-heure, on se dit que décidément ça ne vole toujours pas très haut et qu'on sera sûrement assez loin de la folie du fameux 21 mais que bon ça se regarde encore.

Et puis même à ce moment il faut bien dire aussi que ce 22 Jump Street arrive étonnamment à être aussi bas de gamme et stupide que pourtant pas si bête que ça, les clins d’œil appuyés des dialoguistes pour nous montrer qu'ils ont bien compris que ça n'avait par définition pas de sens de faire une suite rattrapant les trop nombreuses blagues qui sont souvent loin de toucher le milieu de la cible.

A force de se moquer de soi-même et d'améliorer petit à petit le niveau général, c'est assez rare pour être signalé, ce 22 Jump Street finit alors presque par devenir une bonne surprise, une poignée de scènes bien foutues nous attendant d'ailleurs à la fin pour couronner le tout. On en aurait presque pour son argent.

Et enfin cerise sur la gâteau, alors que le cinéma ne sait plus trop quoi faire des fameuses scènes d'après générique qui se ressemblent maintenant piteusement un peu toutes, le 22 de la série se paye de luxe de finir avec un quasi feu d'artifice et un bon moment de rigolade qui achève de convaincre qu'on a quand même bien fait de faire confiance à l'industrie hollywoodienne qui ne nous veut que du bien.

Et faire confiance après tout on ne demande que ça.

Note : 7 (Barème notation)

La bande-annonce



samedi 30 août 2014

Sils Maria

Drame français d'Olivier Assayas - 2h03
Avec Juliette Binoche, Kristen Stewart, Chloë Grace Moretz


Présentation : à la mort du metteur en scène qui l'a révélé dans la pièce Maloja Snake où elle jouait la jeune et manipulatrice Sigrid, Maria Enders (Juliette Binoche) finit par accepter l'offre d'un jeune metteur en scène de rejouer vingt après cette pièce, mais cette fois-ci dans le rôle d'Helena, une femme mûre qui sera victime des amours maléfiques de la jeune Sigrid. Malgré l'aide de son assistance Valentine (Kristen Stewart) qui essaie de la mettre à l'aise dans ce nouveau rôle, Maria n'arrive pas à se faire à ce changement de rôle, et attend sa rencontre avec la très jeune Jo-Ann Ellis (Chloë Grace Moretz), chargée d'interpréter Sigrid, avec une impatience teintée d'angoisse ... Tout ceci dans les paysages paisibles des Alpes Suisses, évidemment.

Sils Maria, c'est le type même de film dont on ne sait pas forcément quoi penser en sortant : reste à savoir si c'est une bonne chose dans le cas présent.

D'un côté, il est difficile de ne pas accorder à Olivier Assayas le mérite d'avoir réalisé un film aussi élégant que subtil, dont la façon d'évoquer le temps qui passe par la dualité malsaine entre deux personnages de théâtre ne manque pas d'intelligence et de piquant. En développant tout du long cette métaphore et en semant sans cesse fausses pistes et nombreux sous-textes, Assayas donne à son film une incontestable hauteur de vue, atmosphère qu'il cultive largement en nappant le tout de musiques d'Haendel et de paysages intemporels. Il s'agit en effet de bien montrer que l'on est dans quelque chose de sérieux et profond, c'est fait.

Au-delà de ce simple abattage formel, on est est également obligé de reconnaître à Assayas une formidable intuition sur le choix de ses actrices, les trois femmes se partageant l'affiche étant ici toutes trois excellentes et surtout plus vraies que nature. Plus qu'ailleurs on sent bien ici la volonté qu'a du avoir Assayas d'adapter chacun de ces rôles à la personnalité même de ses interprètes, travail d'orfèvre qui rajoute encore au flou épais qu'il tente de créer autour de son film, bien symbolisé d'ailleurs par ce fameux "serpent de Maloja" dont les nuages obsèdent Maria Anders. Au-delà de l'ambiguïté créée par l'intrigue même, c'est ainsi une autre couche d'opacité qui vient s'ajouter si l'on s'attarde un peu à imaginer chaque personnage comme une forme de projection de chaque actrice, ou du moins de l'image publique que l'on peut en connaître ... Des coïncidences particulièrement troublantes pour Juliette Binoche et Chloë Grace Moretz, dont on a presque l'impression qu'elle auraient pu jouer leur propre rôle sans que cela change grand chose au fond du film. Impossible donc de mieux incarner ces personnages, dont la caractérisation psychologique est une des grandes forces du film.

Pourtant, parce qu'il faut bien un pourtant, il y a quelque chose qui ne semble jamais vraiment démarrer dans Sils Maria, la mise en scène très sérieuse d'Olivier Assayas semblant brider jusqu'au bout le supplément d'âme qui aurait pu se dégager d'un film si prometteur. Sils Maria laisse ainsi l'amère sensation qu'il aurait pu être encore plus passionnant et surtout plus émouvant si Assayas ne s'en était pas tenu tout du long à un style hyper-académique ne permettant jamais vraiment d'aller voir ce qui se passe au-delà de ce flou artistique qu'il dresse majestueusement. A barricader son film derrière sous-entendus et fausses pistes, il finit ainsi par rendre une copie très propre mais frustrante, tant les potentialités semblaient là pour aller beaucoup plus loin dans l'exploration du vice. Ce n'était certes peut-être pas son intention, mais à semer autant d'indices en route il était difficile de ne pas s'attendre à plus.

Une frustration qu'Assayas semble par ailleurs cultiver très soigneusement, sa curieuse obsession de couper chaque scène 5 secondes trop tôt alors que l'on voudrait voir ce qui peut arriver à ce moment précis attestant de la volonté de montrer qu'il est bien le seul maître à bord. Cette maîtrise formelle incontestable est au final à la fois une qualité et un défaut, ce qui résume bien l'ambivalence de son film. Une qualité car elle lui permet de bâtir un ouvrage d'une mystérieuse élégance que l'on ne peut s'empêcher de vouloir déchiffrer. Une défaut aussi car elle lui interdit de complètement livrer son film à ses spectateurs, ne pouvant que contempler le spectacle derrière une épaisse vitre qui empêche de complètement distinguer le sens de tout cela.

En résumé, parce que je me perds un peu, un film que l'on a envie d'aimer mais qui se refuse un peu à nous.

Note : 8 (Barème notation)

La bande-annonce