samedi 31 mai 2014

Courrier des lecteurs : le Tour de France de SLETO

Cher médiateur,

Festival de Cannes, Roland Garros, Coupe du monde, centenaire de la pittoresque bataille des îles Coco… l’actualité ne manque en ce moment pas de piquant et pourtant SLETO semble s’en désintéresser à peu près totalement, pour ne pas employer des mots plus imagés qui risqueraient de porter atteinte à votre réputation. Est-ce à dire que SLETO, l’âme déjà corrompue par ce milieu si vil, se croit pour ainsi dire déjà en vacances ? N’avez-vous pas un peu l’impression de vous comporter comme les derniers des fumistes ?

Avec une certaine déception,

Julien Karolewski (Cahors, Lot)

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Les projections en plein air organisées par SLETO dans la cour de l'école municipale de Brive-la-Gaillarde ont eu un certain succès.


Cher Julien,

Même si je déplore la gratuité de ces attaques peu constructives, je comprends votre étonnement et me sens effectivement obligé de vous expliquer plus en détail pourquoi la rédaction de SLETO n’a pas cru bon de s’associer à ce genre de manifestations, malgré d’ailleurs l’insistance des organisateurs de plusieurs d’entre elles, pour qui la marque SLETO représente aujourd’hui l’assurance de l’excellence et du bon goût.

N’y voyez cependant aucune défiance envers ces sympathiques manifestations qui enchanteront à n’en pas douter petits et grands pour ces derniers jours de printemps : si le festival de Cannes ne nous semblait certes pas mériter plus ample couverture de notre part, aucun de nous ne possédant de veston noir ou de lunettes de soleil dignes de ce nom, nous aurions en revanche été ravis de vous expliquer pourquoi Paul Pogba est fondamentalement un héritier de la Nouvelle Vague et analyser en profondeur les raisons ayant poussé Roger Federer à annuler sa participation au prochain Transformers. Mais, et je suis sûr que vous le savez aussi bien que nous Julien, la vie n’est pas qu’une suite de réjouissances et il faut parfois savoir se concentrer sur l’essentiel.

Et l’essentiel Julien c’est un très beau projet que nous allons donc maintenant vous présenter, et qui devrait largement mobiliser la communauté des fidèles de SLETO pendant cette si charmante et poétique période estivale. Très attachés à l’idée que la diffusion d’un cinéma de qualité passera par l’association avec de vraies manifestations populaires, seules capables de faire partager à tous le si poignant souffle de ce noble art, nous avons ainsi décidé depuis quelques mois de frapper un grand coup. 

Nous sommes en effet en mesure de vous annoncer que nous tablons depuis plusieurs semaines sur un dispositif tout à fait révolutionnaire : le Tour de France de SLETO. Devant être organisé en partenariat avec cette chère course cycliste que vous pouvez suivre chaque année sur vos écrans grâce au service public, cette manifestation unique en son genre va aller très loin dans l’innovation, mais cela ne vous étonnera sûrement pas puisque vous connaissez notre abnégation à toujours repousser les limites de l’inconnu.

S’inscrivant dans une logique de dynamitage de tous les cadres artistiques existants, SLETO a donc l’intention de promouvoir un dispositif à ce jour jamais vu ou même imaginé. Lors de chaque étape du Tour de France, nous serons ainsi présents dans la caravane du Tour pour vous proposer chaque jour des projections motorisées en plein air, que tous les ardents cinéphiles pourront donc suivre sur nos écrans en nous accompagnant le long des routes en bicyclette ou motocyclette.

Chaque étape verra ainsi une thématique décortiquée par nos rédacteurs les plus chevronnés, qui vous présenteront pendant 7 heures nombre d’extraits de films et de documentaires, ainsi bien sûr que quelques-unes des plus belles publicités ayant conquis le public des salles ces dernières années. Ce sera il est vrai aussi l’occasion pour nous d’introduire quelques sponsors, mécanisme indispensable pour financer une opération qui représente un coût il faut bien le dire assez faramineux, et que les pour l’instant précaires finances de SLETO ne suffiraient pas à assumer.

Sachez d’ailleurs Julien qu’il est toujours possible pour vous ou pour vos amis de participer au financement de l’opération en devenant donateur, ou même sponsor s’il se trouve que vous êtes le brillant PDG d’une paisible et ronflante multinationale. Toute la partie financière et commerciale de cette affaire a à ce propos été déléguée à la société Bygmalion qui nous a été personnellement recommandée par des proches au-dessus de tout soupçon, et qui nous ont d’ailleurs assuré que vos donations à l’opération Tour de France de SLETO pourront être déduites de vos impôts en temps voulu. Belle opportunité pour vous Julien.

N’hésitez donc pas et donnez si le cœur vous en dit, nos plus généreux sponsors et donateurs auront en plus le privilège de pouvoir se raccrocher quelques minutes par jour à notre caravane, ce qui leur permettra ainsi à l’occasion de profiter des animations sans pédaler et scruter leur rétroviseur. Sachez d’ailleurs que nous comptons bientôt vous dévoiler le programme complet des séances et animations prévues pendant ces trois semaines, notre directeur n’attendant que la validation d’Amaury Sports pour lancer tout le dispositif. Cela ne devrait plus beaucoup tarder.

Le mois de juillet s’annonce donc Julien en tout point idyllique, et il ne me reste qu’à vous souhaiter une bonne fin d’année scolaire si vous êtes un enfant, un bon mois de juin si vous ne l’êtes pas, et à vous inviter à nous rejoindre pour ces trois semaines qui seront placées sous le signe du cinéma, de la fête et de l’exercice physique.

Bien à vous,

Votre médiateur.

Certaines animations ont déjà été testées au récent Tour de Romandie, avec une certaine réussite il faut bien le dire.

jeudi 29 mai 2014

Amour sur place ou à emporter : minorités agissantes



Si un produit aussi éculé que Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ? a aujourd’hui un tel succès, c’est bien évidemment un peu parce que vous n’avez globalement pas de goût, mais surtout aussi parce que le cinéma français, reflet de sa société pour une fois, est pour le moins assez mal à l’aise avec le thème des couples mixtes, genre clairement sous-utilisé. Au-delà du côté « aimons-nous tous dans la diversité » forcément un peu facile, Amour sur place et à emporter est donc un film qui arrive quelque part à point, certes très maladroit mais au final bien plus punchy et intéressant que les dernières élucubrations de Christian Clavier.

Le cinéma : le seul endroit où vous verrez encore des gens aller au cinéma

On peut penser ce qu’on veut du Jamel Comedy Club mais il est difficile de ne pas admettre qu’il a amené une forme de renouvellement dans un monde, celui des comiques, où les noms de Laurent Gerra, Michel Leeb et Jean-Marie Bigard suffisent à comprendre que la France des années 50 n’est pas loin, avec tout ce que cela suppose de franchouillardise assumée ou pas. Produit dérivé de la petite troupe de Jamel Debbouze (écrit, adapté, réalisé et interprété par Amelle Chahbi et Noom Diawara qui avaient déjà écrit la pièce originale), Amour sur place ou à emporter cherche ainsi sa place dans un univers cinématographique incertain, où son ambition n’a finalement pas beaucoup d’antécédents.

Peu d’antécédents déjà parce que le peu de couples mixtes qu’a osé montrés le cinéma français, de l’acceptable Mauvaise foi au plus contestable Il reste du jambon ?, ont toujours été essentiellement des couples français « de souche » VS la diversité, sans jamais trop s’attarder sur les clivages pouvant exister au sein même des minorités, façon d’omettre consciemment ou pas tout ce qui ne touche pas aux préoccupations du français blanc moyen. C’était tout l’intérêt de l’excellent Rengaine en 2012, justement centré sur les dissensions entre communautés, mais qui était tout sauf une comédie et qui ne se situe pas vraiment dans la même sphère que le film d’Amelle Chahbi et Noom Diawara.

Aussi important peut-être, cette volonté de montrer que la peur de l’autre existe aussi entre les minorités elles-mêmes, au-delà du message que l’on prendra avec sérieux ou pas, autorise une liberté de ton et de vannes qu’on n’imaginerait difficilement dans une comédie française classique terrorisée par le danger de sortir du politiquement correct, et offre au film une dimension relativement novatrice sous cet angle, car osant s’aventurer dans des territoires jusque-là peu visités en France.

Cet apport, Amour sur place et à emporter essaie de le mettre au service d’un humour clairement orienté vers le stand-up américain, référence évidente de tous les comiques du Jamel Comedy Club, comme Noom l’admet lui-même dans le film en citant le mythique Chris Rock comme un de ses modèles. S’il se perd parfois dans des répliques un peu téléphonées et évidemment souvent un peu attendues, Amour sur place ou à emporter cherche ainsi un rythme saccadé et ultra-énergique assez atypique dans une comédie française aimant d’habitude prendre son temps. Le débit des deux protagonistes et la machine à vannes fonctionnant à plein régime entraînent d’ailleurs parfois le film plus vers l’univers de la série TV courte que celui du cinéma mais cela n’empêche pas les 85 minutes de passer relativement bien, ce qui est quand même l’essentiel.

Alors bien sûr Amour sur place ou à emporter est aussi bourré de défauts et d’imperfections, la faute à deux auteurs/acteurs complètement novices dans ce domaine et qui ne peuvent pas non plus tout réussir du premier coup. Complètement prévisible, pas non plus hilarant du début à la fin, le film d’Amelle Chahbi et Noom Diawara se laisse en effet souvent aller à la facilité, à l’image d’un final à peu près aussi mièvre que 95% des comédies romantiques du genre, car Amour sur place et à emporter est finalement aussi une simple comédie romantique dans le fond. Comme le suggère son titre, il se rapproche ainsi d’une sorte de fast cinéma, équivalent artistique du fast food où l’on fait d’abord et on réfléchit ensuite. La naïveté de la mise en scène et la caricature de certaines scènes pourront ainsi un peu prêter à sourire, et il est probable que cette première pierre donnera lieu un jour à des œuvres un peu plus fines et malines.

Il n’empêche qu’il y a dans cet Amour sur place ou à emporter, et cela malgré tout ce qui vient d’être dit, une forme d’immédiateté et de liberté qui prêtent aussi à sourire pour les bonnes raisons, parce que le film d’Amelle Chahbi et Noom Diawara arrive finalement à se rendre plus attachant qu’il n’y paraît par sa transparence et, lâchons le mot, sa vraie sincérité, qui ne paraît ici pas (complètement) orchestrée par des producteurs voulant juste profiter de la dernière mode. S’il met en place des codes qui sont loin d’être révolutionnaires et reste assez propre sur lui, il installe tout de même un genre et des thèmes que l’on aimerait voir plus souvent dans la comédie française, encore très crispée sur une représentation assez monocolore de la société et de l’humour.

Comme le récent Pas son genre, Amour sur place ou à emporter est au final un de ces films dont l’intérêt et la qualité ne vont pas forcément de pair, et qu’il faut à mon sens voir avec une perspective bien plus large que la réussite du film en elle-même. C’est heureusement la preuve que le cinéma appartient encore à la société, et qu’il n’est pas une pure abstraction détachée de tout contexte social. Tout ça est je m’en rends bien compte extrêmement pompeux mais c’est mon dernier mot, et c’est ainsi.

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Note : 6,5 (Barème notation)

Pour vous faire un avis par vous-même : la bande annonce


A suivre : Caricaturistes, fantassins de la démocratie


Le cinéma, un endroit où l'on roule en Vélib l'air joyeux : étrange contrée

lundi 26 mai 2014

Cette semaine sur mes écrans : 28 mai - 3 juin 2014

La cinéma a apparemment décidé de prendre quelques jours de repos, bien mérité ou pas, après ses traditionnelles deux semaines de bling-bling à Cannes. Résultat : une foule de films qui ne me disent rien du tout, avec quand même un peu de quoi patienter la semaine prochaine.

Lui montrer son album Panini 1997 avec la carte dédicacée de John Collins : la bonne idée pour emballer direct.

J'irais

Amour sur place ou à emporter
Comédie - France (1h25)
Réalisé par Amelle Chabbi, 
Avec Amelle Chabbi, Noom Diawara, Aude Pepin
Il y aura peut-être un avant et un après Jamel Comedy Club dans le petit monde des humoristes français, où le show produit par l'handicapé le plus célèbre de France, qu'on peut juger inégal mais c'est inévitable vu le format, remplit aujourd'hui avec succès le rôle de couveuse pour jeunes talents en attente d'éclosion. Un peu à la manière du Saturday Night Live aux US, toutes proportions gardées bien sûr, le Jamel Comedy Club est même en passe de devenir un tremplin vers le grand écran, comme le duo Fabrice Eboué / Thomas N'Gigol a pu le prouver avec Case Départ et Le crocodile du Botswanga. C'est donc aujourd'hui Amelle Chabbi qui se lance dans le grand bain avec la réalisation de Amour sur place ou à emporter, adaptation cinématographique de la pièce à succès du même nom. Écrit et interprété comme dans celle-ci avec son acolyte du Jamel Comedy Club Noom Diawara, ce film ne sera pas probablement pas le chef d’œuvre de l'année mais peut-être un petit bol d'air et un souffle d'originalité dans une comédie française qui en manque souvent cruellement. Ou être drôle pendant dix minutes et virer à la caricature. Il n'y a qu'un moyen d'en avoir le cœur net.



J'irais peut-être

Caricaturistes - Fantassins de la démocratie
Documentaire - France / Belgique / Italie (1h46)
Réalisé par Stéphanie Valloatto
Voilà un film que je n'aurais sûrement jamais été voir en temps normal mais vu le contenu très light de la semaine rien n'est finalement impossible. 1 heure et 46 minutes me semble terriblement long pour un documentaire, même au cinéma, mais c'est vrai qu'il y a des dessins ... C'est bien entendu Plantu qui nous est offert dans la version française de la bande-annonce, très brève et qui ne nous dit pas grand chose de la dimension universelle de l’œuvre en présence, offrant 12 portraits de 12 caricaturistes venant tous de contrées différentes. Possible donc que ça soit un peu plus intéressant que la blagounette un peu facile mise en avant dans la bande-annonce française. Dans tous les cas, le sujet est relativement original et c'est toujours l'occasion de se cultiver un peu, ce qui est bien rare.

Version française


Version internationale

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J'en profiterais peut-être aussi pour rattraper au vol quelques films passés à la trappe ces dernières semaines, ou pas.
Il est également possible que le Courrier des Lecteurs émerge de sa longue période d'hibernation tel un ours mal léché et encore tout groggy d'un si beau et paisible repos, mais là non plus rien de sûr.

Bonne et calme semaine de cinéma à tous,

En exclusivité mondiale sur SLETO : la première image de l'épisode 7 de Star Wars. Ça nous a couté bonbon mais ça en valait le coup.

samedi 24 mai 2014

Blackout total : very bad copie



Très pâle copie de Very Bad Trip revu à la sauce girly, époque oblige, Blackout total rame à peu près autant que son héroïne pour trouver son chemin dans un scénario sans grand intérêt, sinon celui de donner enfin un premier rôle à Elizabeth Banks qui l’attendait depuis un bout de temps maintenant. A part ça, rien.

Le lendemain de l'élection d'Eric Zemmour à la tête du monde libtre. Il va falloir faire profil bas mesdemoiselles.
 
Je pourrais me plaindre des 95 minutes que m’a fait perdre le film de Steven Brill et déplorer longuement son absence totale d’idées et de quelque chose qui ressemble vaguement à de l’originalité, je pourrais le faire très longuement comme j’en ai maintenant l’habitude, et par là même occasion achever de vous convaincre que je n’ai vraiment rien d’autre à faire que de tirer sur des ambulances déjà bien mal en point.

Heureusement, pour vous et pour moi (j’ai autre chose à faire en fait, si si), Blackout total est un film qui ne ferait pas de mal à une mouche, trop profondément balourd et insignifiant pour que je m’acharne dessus inutilement. Allons donc à l’essentiel.

Ni vraiment trash malgré ses tristes tentatives pour choquer la ménagère (oh mon dieu des dealers ! noirs en plus !), et évidemment pas très fin non plus (mais pourquoi pas ça n’est pas le problème), Blackout total ressemble finalement assez bien à son titre original (Walk of shame en anglais) : un long moment assez gênant de maladresse et de futilité, où les quelques très rares bonnes blagues abandonnées de temps en temps sur le bas-côté ne parviennent pas à faire oublier que l’on est vraiment dans le très bas de gamme.

Machine commerciale visiblement conçue dans le seul but d’installer officiellement Elizabeth Banks dans la catégorie des actrices qui comptent, Blackout total annonce la couleur dès les premières secondes avec un générique aussi débile qu’une vidéo de Jackass mais qui a au moins le mérite de très vite nous faire comprendre le ton général du film. Parfois vaguement drôle mais le plus souvent complètement téléphoné, Blackout est toutefois un peu tiré vers le faut par la performance honnête d’une Elizabeth Banks qui réussit bravement à ne pas complètement se noyer dans cette farce aussi fade qu’inconsistante, qui ne fait pourtant rien pour l’aider.

Ce morceau de bravoure n’empêche cela dit pas le naufrage final, consacré par une fin d’une stupidité comme on en voit rarement et qui clôture donc deux heures où l’on aura vraiment rien appris, à part peut-être que l’on peut très bien courir le 100 mètres en moins de 10 secondes avec des talons de 15 cm et une robe de soirée. Ce qui n’est certes pas rien.

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Note : 3 (Barème notation)

Pour vous faire un avis par vous-même : la bande annonce


A suivre : X-Men ou Amour sur place ou à emporter

Les élections européennes déclenchent toujours des mouvements d'enthousiasme spontané assez étonnants.

jeudi 22 mai 2014

Deux jours, une nuit : Marion chez les Belges

Parce qu’il dévoile le combat d’une femme pour sa dignité avec une intégrité artistique irréprochable, il est évidemment difficile de ne pas un peu voir le dernier film des frères Dardenne comme une tardive suite de Rosetta, qui fit d’eux ce qu’ils sont il y a déjà quinze ans. Porté par Marion Cotillard comme ce dernier l’était par Émilie Dequenne, Deux jours, une nuit est pourtant tout sauf une redite et témoigne d’un cinéma au contraire toujours en mouvement, où maitrise formelle et vérité humaine vont bien de pair.

Oui Marion Cotillard bouffe des glaces le dimanche après-midi dans un parc avec son mec qui l'emmerde comme vous

Comparer Deux jours, une nuit à Rosetta, c’est d’abord comparer deux actrices en apparence à des années-lumière. Quoi de commun en effet entre la alors toute jeune Émilie Dequenne, 18 ans à l’époque et sans aucune expérience au CV, et Marion Cotillard, 38 ans et un CV national et international maintenant long comme le bras ? Bien sûr en partie anecdotique, il n’y a en effet rien à redire sur la performance de Marion Cotillard ici, cette question permet pourtant de signaler d’autres évolutions plus subtiles à l’œuvre dans le cinéma des frères Dardenne, pourtant en apparence si réfractaire aux modes et à l’air du temps.

En dehors du fait qu’on ne filme et scrute forcément pas Marion Cotillard comme on pouvait le faire avec une jeune gamine inconnue de 18 ans, se confondant du même coup complètement avec son personnage, l’arrivée de Marion Cotillard dans le cinéma des Dardenne semble en effet aller de pair avec une certaine respectabilité, qui tranche un peu avec cette forme de sauvagerie qui habitait la plupart de leurs précédents films.

Esthétiquement d’abord, Deux jours, une nuit est un film plus lumineux, et un peu plus policé que ce à quoi nous avaient habitué les Dardenne par le passé. Moins sujette à la tremblote, leur caméra se fait ainsi un peu moins chaotique, même si leur capacité à s’attarder sur les visages et les corps reste bien sûr une de leurs indéfectibles qualités. Pas d’enfant sauvage à filmer cette fois, d’où une réalisation au final un peu plus classique, les Dardenne semblant garder avec Marion Cotillard une certaine distance qu’ils n’avaient pas forcément en filmant Emilie Dequenne il y a quinze ans. 

Une distance intéressante car plus qu’une forme de respect envers leur prestigieuse actrice, celle-ci est peut-être surtout le signe d’un univers social différent de leurs canons habituel.

Forcé en effet de constater que les Dardenne nous emmènent ici un peu moins loin dans l’anéantissement et la désocialisation que ce qu’ils avaient pu faire par le passé. On n’est bien sûr toujours loin du conte de fées et clairement dans une chronique de la misère sociale, mais leur Sandra a tout de même quelques dernières attaches, familiales et amicales, qui lui permettent de ne pas complètement sombrer dans le néant existentiel. Loin d’être un défaut, ce renouvellement de leur univers permet au contraire aux Dardenne d’explorer intelligemment la frontière entre société et exclusion en choisissant cette fois de montrer l’autre côté du gouffre, là où l’on n’est pas encore tombé mais où l’on aperçoit quand même le fond. Après avoir longtemps filmé ceux qui n’ont rien, et quelque part rien à perdre non plus, ils filment là ceux qui n’ont pas grand-chose de plus, mais doivent s’accrocher comme des forcenés pour ne pas le perdre. Résonnant tristement avec l’actualité du déclassement social du Nord industriel, ce choix montre avec éclats leur capacité à s’adapter à leur matériau de base, à savoir une société elle-même en constante évolution, signe d’une acuité artistique toujours aussi fine qu’à leurs débuts.

Car au-delà de ces bienvenus ajustements de fond et de forme, Deux jours, une nuit garde en lui toute l’intelligence habituelle des frères Dardenne, qui continue de s’exprimer plans après plans avec une simplicité apparente désarmante. Simple seulement en apparence effectivement car derrière ses aspects rugueux, quoique moins que d’habitude, le dernier né de la fratrie porte en lui une maitrise cinématographique toujours bluffante. Parfaitement séquencé et refusant toujours l’accessoire, ce Dardenne a comme de coutume la même foi dans ses longs plans séquences, d’où finit  toujours par émerger la vérité à force de filmer les visages et les gestes. Dénué de bande son, autre habitude de la maison, leur film a assez de force en lui-même pour ne pas s’imposer, laissant le spectateur s’approprier complètement le drame en cours devant lui.

En-dehors de cette démonstration technique, la réussite de Deux jours, une nuit est aussi celle d’un scénario qui pourrait au premier abord apparaître un poil répétitif et lassant, mais en réalité très malin et plein de ressources. En filmant Marion Cotillard devant aller un par un à la rencontre de ses collègues pouvant seuls la sauver du licenciement, les Dardenne s’offrent en effet deux redoutables possibilités. D’une part, filmer la résignation, la détresse et l’écœurement de leur héroïne face à un tâche la dépassant complètement et agitant constamment devant elle le spectre de son impuissance. D’autre part donner à voir une formidable étude de caractères par le biais de cet épatant kaléidoscope de réactions, qui sait assez éviter l’angélisme pour résonner juste.

Dans cette justesse, une grande part du mérite revient comme d’habitude également aux Dardenne dont la direction d’acteurs est en tout point remarquable, et qui ont décidément toujours le don de tirer la part de vérité nécessaire de chaque acteur présent au générique, qu’il soit présent 30 secondes ou 40 minutes à l’écran. Une part de cette réussite revient aussi bien sûr, j’y viens enfin, à Marion Cotillard qui a su se donner complètement, corps et âme, à l’œil des frères Dardenne. Allant très loin dans la composition de son personnage, avec notamment un travail sur la voix remarquable, elle sait très vite faire oublier sa propre aura pour n’être plus que Sandra, dont la fébrilité est la véritable pulsation du film. 

Lumineuse dans un rôle pourtant d’emblée peu gratifiant, c’est peut-être aussi elle qui inspire finalement aux frères Dardenne des tons moins sombres, et un discours au final plus optimiste qui semble suggérer que combattre c’est déjà en partie retrouver sa dignité. 

Magie d’une rencontre entre deux univers apparemment antinomiques, une reine des paparazzis et les chantres d’un cinéma social intransigeant, Deux jours, une nuit est en cela la preuve que le cinéma peut encore produire autant de beauté qu’il veut quand il s’en donne les moyens.

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Note : 9 (Barème notation)

Pour vous faire un avis par vous-même : la bande annonce


A suivre : Blackout total


Venir sans son maillot : très mauvaise idée pour son premier jour en équipe de Belgique de water-polo mixte