dimanche 4 mai 2014

Conversation animée avec Noam Chomsky : l'écume des mots



Chacun ses loisirs. En doux malade et entre le montage du Frelon vert et le tournage de L’écume des jours, Michel Gondry, obsessionnel parmi les obsessionnels, n’a rien trouvé de mieux à faire que de consacrer deux ans de sa vie à monter dans son coin cet étonnant documentaire animé de sa rencontre avec le grand Noam Chomsky. Document assez unique par son intégrité intellectuelle et artistique, le dernier Gondry est un vrai éloge de la curiosité, un vrai Gondry donc.



Ceux qui s’attendent à trouver dans cette Conversation animée avec Noam Chomsky autre chose qu’un objet intellectuel risquent d’être déçus. Ceux qui ont au contraire soif de pure réflexion conceptuelle seront au contraire servis : malgré ses jolis dessins, le dernier Gondry est bien un pur esprit, uniquement occupé de sautiller gaiment d’une idée à une autre.

Bien sûr les animations de Michel Gondry, d’une fantaisie rafraichissante et maline à la fois, permettent à l’esprit de digérer un peu mieux 90 minutes d’une rare densité, et l’on retrouve là le Michel Gondry qu’on connaît bien, artisan avant tout et depuis toujours passionné par le remodelage du réel. Mais comme il tient à le préciser dès les premiers instants, l’essentiel n’est pas là : le plus important est bien de profiter de ce rare moment d’échange entre un cinéaste ramené à sa condition de simple mortel et l’un des intellectuels les plus marquants de l’après-guerre, que ses 80 ans passés ne semblent jamais entraver dans sa capacité de démonstration.

Mais plus qu’une simple retranscription d’entretien, cette conversation animée est aussi un documentaire sur le documentaire. Persuadé que les documentaires classiques ne sont finalement que des films biaisés qui ne s’avouent pas, et il a quelque part raison, Gondry prend résolument le parti-pris d’une linéarité totale, sans montage grossier ou discours sous-jacent. Il reste bien sûr un peu de mise en forme, ne serait-ce que parce qu’il n’a pas tout gardé et qu’il faut bien un peu accentuer certains passages, mais difficile de ne pas reconnaître à Gondry cette intégrité : son film est bien l’élégant mais fidèle récit d’un dialogue entre un vieux sage et un jeune béotien essayant laborieusement de se mettre dans ses pas. 

Et Gondry de se perdre parfois lui-même dans la sinueuse pensée de Chomsky, et de nous en faire part à chaque fois qu’il a le sentiment que la barrière de la langue (surprise pour un artiste si transnational, Gondry parle anglais comme une vache espagnole) et de l’habitude intellectuelle (60 ans de travail intellectuel d’écart entre les deux quand même) se mettent en travers de sa volonté d’exploration et de questionnement. C’est aussi dans ces intervalles montrés au grand jour, d’habitude passés sous silence, que naît l’originalité et l’intérêt de cet objet finalement plus intellectuel qu’artistique, dont la capacité probable à ennuyer certains (mieux vaut effectivement s’intéresser un tout petit peu au fond du débat) est finalement peut-être le meilleur compliment. Arte au cinéma, c’est possible.

Réflexion sur la science, l’homme et la liberté, Conversation animée avec Noam Chomsky est la preuve que l’on peut encore produire et distribuer des œuvres n’ayant pas la moindre aspérité commerciale, si tant est que l’on ait un grand nom et qu’on l’on soit prêt à s’en servir pour la bonne cause. C’est aussi évidemment un admirable essai de vulgarisation sur la théorie du langage, qui persuadera peut-être certains de creuser un peu plus un sujet en apparence aride mais recelant au final une infinité de questions toutes plus existentielles les unes que les autres.

Merci professeur Gondry, et bon vent cher monsieur Chomsky.



Note : 8,5 (Barème notation)

Pour vous faire un avis par vous-même : la bande annonce


A suivre : D'une vie à l'autre





Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire