jeudi 29 mai 2014

Amour sur place ou à emporter : minorités agissantes



Si un produit aussi éculé que Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ? a aujourd’hui un tel succès, c’est bien évidemment un peu parce que vous n’avez globalement pas de goût, mais surtout aussi parce que le cinéma français, reflet de sa société pour une fois, est pour le moins assez mal à l’aise avec le thème des couples mixtes, genre clairement sous-utilisé. Au-delà du côté « aimons-nous tous dans la diversité » forcément un peu facile, Amour sur place et à emporter est donc un film qui arrive quelque part à point, certes très maladroit mais au final bien plus punchy et intéressant que les dernières élucubrations de Christian Clavier.

Le cinéma : le seul endroit où vous verrez encore des gens aller au cinéma

On peut penser ce qu’on veut du Jamel Comedy Club mais il est difficile de ne pas admettre qu’il a amené une forme de renouvellement dans un monde, celui des comiques, où les noms de Laurent Gerra, Michel Leeb et Jean-Marie Bigard suffisent à comprendre que la France des années 50 n’est pas loin, avec tout ce que cela suppose de franchouillardise assumée ou pas. Produit dérivé de la petite troupe de Jamel Debbouze (écrit, adapté, réalisé et interprété par Amelle Chahbi et Noom Diawara qui avaient déjà écrit la pièce originale), Amour sur place ou à emporter cherche ainsi sa place dans un univers cinématographique incertain, où son ambition n’a finalement pas beaucoup d’antécédents.

Peu d’antécédents déjà parce que le peu de couples mixtes qu’a osé montrés le cinéma français, de l’acceptable Mauvaise foi au plus contestable Il reste du jambon ?, ont toujours été essentiellement des couples français « de souche » VS la diversité, sans jamais trop s’attarder sur les clivages pouvant exister au sein même des minorités, façon d’omettre consciemment ou pas tout ce qui ne touche pas aux préoccupations du français blanc moyen. C’était tout l’intérêt de l’excellent Rengaine en 2012, justement centré sur les dissensions entre communautés, mais qui était tout sauf une comédie et qui ne se situe pas vraiment dans la même sphère que le film d’Amelle Chahbi et Noom Diawara.

Aussi important peut-être, cette volonté de montrer que la peur de l’autre existe aussi entre les minorités elles-mêmes, au-delà du message que l’on prendra avec sérieux ou pas, autorise une liberté de ton et de vannes qu’on n’imaginerait difficilement dans une comédie française classique terrorisée par le danger de sortir du politiquement correct, et offre au film une dimension relativement novatrice sous cet angle, car osant s’aventurer dans des territoires jusque-là peu visités en France.

Cet apport, Amour sur place et à emporter essaie de le mettre au service d’un humour clairement orienté vers le stand-up américain, référence évidente de tous les comiques du Jamel Comedy Club, comme Noom l’admet lui-même dans le film en citant le mythique Chris Rock comme un de ses modèles. S’il se perd parfois dans des répliques un peu téléphonées et évidemment souvent un peu attendues, Amour sur place ou à emporter cherche ainsi un rythme saccadé et ultra-énergique assez atypique dans une comédie française aimant d’habitude prendre son temps. Le débit des deux protagonistes et la machine à vannes fonctionnant à plein régime entraînent d’ailleurs parfois le film plus vers l’univers de la série TV courte que celui du cinéma mais cela n’empêche pas les 85 minutes de passer relativement bien, ce qui est quand même l’essentiel.

Alors bien sûr Amour sur place ou à emporter est aussi bourré de défauts et d’imperfections, la faute à deux auteurs/acteurs complètement novices dans ce domaine et qui ne peuvent pas non plus tout réussir du premier coup. Complètement prévisible, pas non plus hilarant du début à la fin, le film d’Amelle Chahbi et Noom Diawara se laisse en effet souvent aller à la facilité, à l’image d’un final à peu près aussi mièvre que 95% des comédies romantiques du genre, car Amour sur place et à emporter est finalement aussi une simple comédie romantique dans le fond. Comme le suggère son titre, il se rapproche ainsi d’une sorte de fast cinéma, équivalent artistique du fast food où l’on fait d’abord et on réfléchit ensuite. La naïveté de la mise en scène et la caricature de certaines scènes pourront ainsi un peu prêter à sourire, et il est probable que cette première pierre donnera lieu un jour à des œuvres un peu plus fines et malines.

Il n’empêche qu’il y a dans cet Amour sur place ou à emporter, et cela malgré tout ce qui vient d’être dit, une forme d’immédiateté et de liberté qui prêtent aussi à sourire pour les bonnes raisons, parce que le film d’Amelle Chahbi et Noom Diawara arrive finalement à se rendre plus attachant qu’il n’y paraît par sa transparence et, lâchons le mot, sa vraie sincérité, qui ne paraît ici pas (complètement) orchestrée par des producteurs voulant juste profiter de la dernière mode. S’il met en place des codes qui sont loin d’être révolutionnaires et reste assez propre sur lui, il installe tout de même un genre et des thèmes que l’on aimerait voir plus souvent dans la comédie française, encore très crispée sur une représentation assez monocolore de la société et de l’humour.

Comme le récent Pas son genre, Amour sur place ou à emporter est au final un de ces films dont l’intérêt et la qualité ne vont pas forcément de pair, et qu’il faut à mon sens voir avec une perspective bien plus large que la réussite du film en elle-même. C’est heureusement la preuve que le cinéma appartient encore à la société, et qu’il n’est pas une pure abstraction détachée de tout contexte social. Tout ça est je m’en rends bien compte extrêmement pompeux mais c’est mon dernier mot, et c’est ainsi.

-

Note : 6,5 (Barème notation)

Pour vous faire un avis par vous-même : la bande annonce


A suivre : Caricaturistes, fantassins de la démocratie


Le cinéma, un endroit où l'on roule en Vélib l'air joyeux : étrange contrée

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire