samedi 17 mai 2014

La chambre bleue : chronique d'une mort annoncée

A l’heure où nombre de films policiers français se contentent d’essayer, avec plus ou moins de bonheur, de copier les thrillers anglo-saxons à succès, Mathieu Amalric a lui décidé avec La chambre bleue de revenir aux fondamentaux du polar français. Adapté d’un roman de Georges Simenon, son film a en effet tout du polar sous naphtaline des années 50, mais évidemment avec un petit peu d’autre chose, Amalric oblige.

Vous aussi vous aimez regarder des points au loin dans votre chambre dans le noir ? Faites Mathieu Amalric comme métier


Il est difficile de rentrer dans La chambre bleue sans avoir un peu l’impression d’être dans un épisode de Maigret juste un poil déjanté. Réalisateur de talent, on n’en doutait pas vraiment vu la stature du bonhomme, Mathieu Amalric réussit brillamment l’exercice de style cinématographique, donnant clairement à son cinquième long-métrage des faux airs de polar rétro. Il crée pour cela un espace dramatique hors du temps, raccroché à nous seulement par quelques allusions à l’an 2013 plus là pour l’anecdote qu’autre chose. Fondé sur un grand minimalisme de décors et d’accessoires qui pourrait tout aussi bien évoquer la Pologne des années 70 ou la Bulgarie contemporaine, La chambre bleue est en effet un film sans époque, uniquement occupé de ses personnages et de son intrigue, et de tout ce qui se passe dans les interstices. Une ambiance musicale très feutrée, rappelant furieusement les aventures du bon commissaire Maigret, et la pâleur des lumières participent du même mouvement : pas de lieu, nous sommes nulle part.

Au-delà de cette esthétique évoquant un temps où l’on fumait la pipe plus que la cigarette électronique, Mathieu Amalric a gardé de l’œuvre originale un ton terriblement littéraire, et même sans doute un peu trop. Rien d’étonnant pour un acteur dont la récitation a toujours été le péché mignon mais ce défaut atteint ici, surtout au début, des proportions parfois gênantes et qui n’aident pas à se saisir d’un film déjà assez opaque. Dans sa volonté de s’appuyer sur le texte et de bien choisir chaque mot et chaque intonation, Mathieu Amalric finit par se brider lui et ses acteurs et laisse le rythme s’échapper un peu, ingrédient pourtant essentiel à tout polar.

C’est un peu de vérité, et il faut bien le dire un peu d’intérêt, qui s’évapore dans ces accents souvent presque pompeux, et que Mathieu Amalric a, on peut au moins lui reconnaître cette réussite, parfaitement su transmettre à tous ses acteurs. Quasiment tous, sauf l’excellent Laurent Poitrenaux, qui s’impose ici avec une finesse et une justesse de jeu assez remarquable, et qui mériterait de lui valoir d’autres rôles plus conséquents au cinéma, lui qui a jusque-là surtout connu le succès sur les planches.  C’est d’ailleurs grâce à ses duels avec Mathieu Amalric que le film finit par s’extraire de l’apathie qui le guette, pour s’évader dans une fin enfin captivante.

Fin d’autant plus captivante qu’elle révèle un autre aspect du cinéma de Mathieu Amalric : l’obsession du surréel, de cette part d’inconnu entre la réalité et le fantasme. En cela assez semblable à ce que l’on avait déjà déjà pu voir avec Mathieu Amalric dans Le Scaphandre et le Papillon (2007), La chambre bleue met ainsi en scène une interrogation du réel, où juges et policiers semblent au final n’être que des substituts du narrateur face aux incohérences de son héros. Finement articulé autour de fréquentes surimpressions du passé, l’œuvre de Mathieu Amalric a au final quelque chose d’une réflexion sur le statut de l’artiste, toujours condamné à tordre le réel et la mémoire de ses personnages pour arriver à ses fins dramatiques. Éminemment symbolique, son film se clôt alors logiquement comme il s’est ouvert : indéchiffrable.

Si toutes ces qualités ne l’empêchent pas de s’égarer parfois un peu trop en chemin, et de risquer l’ennui à force d’ambiguïté, cette force symbolique donne toutefois à La chambre bleue une épaisseur indéniable, qui dépasse le cadre étroit de son intrigue. Tout cela demande bien sûr un certain effort d’intellectualisation mais on aura bien compris depuis le temps qu’avec Mathieu Amalric, décidément, rien ne vient comme une évidence. Et c’est bien sûr là qu’est tout l’intérêt.

-

Note : 7,5 (Barème notation)

Pour vous faire un avis par vous-même : la bande annonce


A suivre : La chambre bleue

Vous l'aviez demandé, ça y est : SLETO fait dans l'érotique.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire