samedi 30 août 2014

Sils Maria

Drame français d'Olivier Assayas - 2h03
Avec Juliette Binoche, Kristen Stewart, Chloë Grace Moretz


Présentation : à la mort du metteur en scène qui l'a révélé dans la pièce Maloja Snake où elle jouait la jeune et manipulatrice Sigrid, Maria Enders (Juliette Binoche) finit par accepter l'offre d'un jeune metteur en scène de rejouer vingt après cette pièce, mais cette fois-ci dans le rôle d'Helena, une femme mûre qui sera victime des amours maléfiques de la jeune Sigrid. Malgré l'aide de son assistance Valentine (Kristen Stewart) qui essaie de la mettre à l'aise dans ce nouveau rôle, Maria n'arrive pas à se faire à ce changement de rôle, et attend sa rencontre avec la très jeune Jo-Ann Ellis (Chloë Grace Moretz), chargée d'interpréter Sigrid, avec une impatience teintée d'angoisse ... Tout ceci dans les paysages paisibles des Alpes Suisses, évidemment.

Sils Maria, c'est le type même de film dont on ne sait pas forcément quoi penser en sortant : reste à savoir si c'est une bonne chose dans le cas présent.

D'un côté, il est difficile de ne pas accorder à Olivier Assayas le mérite d'avoir réalisé un film aussi élégant que subtil, dont la façon d'évoquer le temps qui passe par la dualité malsaine entre deux personnages de théâtre ne manque pas d'intelligence et de piquant. En développant tout du long cette métaphore et en semant sans cesse fausses pistes et nombreux sous-textes, Assayas donne à son film une incontestable hauteur de vue, atmosphère qu'il cultive largement en nappant le tout de musiques d'Haendel et de paysages intemporels. Il s'agit en effet de bien montrer que l'on est dans quelque chose de sérieux et profond, c'est fait.

Au-delà de ce simple abattage formel, on est est également obligé de reconnaître à Assayas une formidable intuition sur le choix de ses actrices, les trois femmes se partageant l'affiche étant ici toutes trois excellentes et surtout plus vraies que nature. Plus qu'ailleurs on sent bien ici la volonté qu'a du avoir Assayas d'adapter chacun de ces rôles à la personnalité même de ses interprètes, travail d'orfèvre qui rajoute encore au flou épais qu'il tente de créer autour de son film, bien symbolisé d'ailleurs par ce fameux "serpent de Maloja" dont les nuages obsèdent Maria Anders. Au-delà de l'ambiguïté créée par l'intrigue même, c'est ainsi une autre couche d'opacité qui vient s'ajouter si l'on s'attarde un peu à imaginer chaque personnage comme une forme de projection de chaque actrice, ou du moins de l'image publique que l'on peut en connaître ... Des coïncidences particulièrement troublantes pour Juliette Binoche et Chloë Grace Moretz, dont on a presque l'impression qu'elle auraient pu jouer leur propre rôle sans que cela change grand chose au fond du film. Impossible donc de mieux incarner ces personnages, dont la caractérisation psychologique est une des grandes forces du film.

Pourtant, parce qu'il faut bien un pourtant, il y a quelque chose qui ne semble jamais vraiment démarrer dans Sils Maria, la mise en scène très sérieuse d'Olivier Assayas semblant brider jusqu'au bout le supplément d'âme qui aurait pu se dégager d'un film si prometteur. Sils Maria laisse ainsi l'amère sensation qu'il aurait pu être encore plus passionnant et surtout plus émouvant si Assayas ne s'en était pas tenu tout du long à un style hyper-académique ne permettant jamais vraiment d'aller voir ce qui se passe au-delà de ce flou artistique qu'il dresse majestueusement. A barricader son film derrière sous-entendus et fausses pistes, il finit ainsi par rendre une copie très propre mais frustrante, tant les potentialités semblaient là pour aller beaucoup plus loin dans l'exploration du vice. Ce n'était certes peut-être pas son intention, mais à semer autant d'indices en route il était difficile de ne pas s'attendre à plus.

Une frustration qu'Assayas semble par ailleurs cultiver très soigneusement, sa curieuse obsession de couper chaque scène 5 secondes trop tôt alors que l'on voudrait voir ce qui peut arriver à ce moment précis attestant de la volonté de montrer qu'il est bien le seul maître à bord. Cette maîtrise formelle incontestable est au final à la fois une qualité et un défaut, ce qui résume bien l'ambivalence de son film. Une qualité car elle lui permet de bâtir un ouvrage d'une mystérieuse élégance que l'on ne peut s'empêcher de vouloir déchiffrer. Une défaut aussi car elle lui interdit de complètement livrer son film à ses spectateurs, ne pouvant que contempler le spectacle derrière une épaisse vitre qui empêche de complètement distinguer le sens de tout cela.

En résumé, parce que je me perds un peu, un film que l'on a envie d'aimer mais qui se refuse un peu à nous.

Note : 8 (Barème notation)

La bande-annonce


jeudi 28 août 2014

Maestro

Comédie dramatique française de Léa Fazer - 1h25
Avec Pio Marmai, Michael Lonsdale, Deborah François, Alice Belaïdi

Un scoop : Jésus Christ a été à deux doigts de se marier, mais un barbu en combinaison verte est intervenu au dernier moment.

Présentation : c’est un film assez singulier qui nous est proposé cet été avec Maestro. Finalement réalisé par Léa Fazer, celui-ci était à l’origine un projet de scénario du défunt acteur Jocelyn Quivrin qui voulait ainsi raconter son histoire, celle du choc de sa rencontre avec le cinéma d’Eric Rohmer sur le tournage de Les Amours d’Astrée et de Céladon (2007). Décédé en 2009 (Eric Rohmer l'ayant suivi moins de 2 mois après), Jocelyn Quivrin n’a hélas pas pu mener son projet à son terme et c’est donc Léa Fazer, après des années de galère pour reprendre le bébé, qui a finalement réussi à le relancer, avec l’accord d’Alice Taglioni, la compagne de Jocelyn Quivrin dont la rencontre est aussi narrée dans le film. C’est au final Pio Marmai qui est chargé d’interpréter le rôle de Jocelyn Quivrin, Michael Lonsdale celui d’un cinéaste ressemblant beaucoup à Eric Rohmer et Deborah François celui d’une actrice ressemblant beaucoup à Alice Taglioni.

Étonnant film en effet que ce Maestro, qui peut se lire de façon assez différente selon que l'on soit familier ou pas avec l'univers d'Eric Rohmer.

Côté pile, si on ne l'est pas, une comédie plutôt attachante, assez enlevée pendant une bonne partie du film et au final presqu'émouvante de naïveté : une gentille farce que l'on pourrait renommer "Les Charlots chez le cinéma d'auteur". Du choc total des cultures entre le cinéma en apparence hautement intellectualisé de Rohmer et un jeune et encore très brut de décoffrage Jocelyn Quivrin jaillissent évidemment facilement certains bons voire très bons gags, comme la géniale parodie d'une scène de Rohmer à l'écran que visionnent bouches bées Pio Marmai et son acolyte. Un humour du décalage par ailleurs grandement facilité par la nature très particulière du film évoqué ici (Les amours d'Astrée et de Céladée), dernier long-métrage d'Eric Rohmer et loin d'être le plus immédiat. Assez d'ingrédients donc pour produire un agréable moment de cinéma, même s'il est un peu gâché par un final assez bâclé où Léa Fazer se contente de sortir les violons sans aller chercher d'autres subtilités, pourtant le matériau par essence de l'univers rohmérien.

Côté face justement, pour les amoureux de Rohmer, voici une improbable immersion dans l'œuvre du plus discret compagnon de route de la Nouvelle Vague. On est forcément au moins un peu fasciné par cet espèce de bêtisier de tournage, dont la valeur quasi documentaire ne pourra que râvir ceux qui se sentent orphelins des étonnantes et si épurées œuvres de l'étrange monsieur Rohmer. Goût des mots, attention aux choses de la nature, économie de moyens, ... ce sont bien les coulisses de la petite entreprise rohmérienne qui nous sont ici ouvertes et l'on se prend alors vite au jeu, espérant quelque part pouvoir profiter d'une sorte d’œuvre posthume du maître.

Mieux vaut peut-être un peu tempérer ses espoirs car ...
  • Léa Fazer n'est clairement pas Eric Rohmer et son film n'est en lui-même pas vraiment un chef d’œuvre, surtout dans sa dernière partie qui ressemble de plus en plus dangereusement à une comédie française plus commune.
  • L'importance donnée à l'histoire d'amour entre Pio Marmai et Déborah François (qui joue le rôle que Jocelyn Quivrin avait écrit pour sa compagne Alice Taglioni), pour l'occasion réinsérée dans le tournage du film de Rohmer alors que cette rencontre avait eu lieu à un autre moment, éclipse hélas un peu la rencontre avec Eric Rohmer, qui est pourtant le sujet du film que l'on voudrait voir traité à fond. Faisant cela, Léa Fazer ferait presque de ce Rohmer, ici interprété par l'excellent Michael Lonsdale, un personnage secondaire, un aimable fou qui serait presque plus drôle à ses dépens que vraiment sérieux. Un choix de portrait qui peut avoir un double tort : celui de ne pas satisfaire les amoureux de Rohmer qui auraient peut-être aimé aller au-delà de la caricature, et celui de donner une idée très illuminée du cinéma de Rohmer, dont tous les films ne sont pourtant pas aussi ampoulés que ces Amours d'Astrée et de Céladon.
Tous ces défauts mis à part, il faut tout de même reconnaître que Maestro, par ce ce qu'il porte en lui au-delà des questions de style, reste un film assez unique et quelque peu émouvant quand on y repense bien. Il a aussi l'immense mérite d'attirer le regard sur une œuvre plus franchement à la mode mais si singulière qu'elle n'aura probablement jamais de véritables héritiers. Ça sent le carton pour les prochaines soirées Thema 'Eric Rohmer' sur Arte ...

Bilan globalement positif donc.

PS : à noter pour l'anecdote que Cécile Cassel, qui jouait dans le long-métrage de Rohmer, devait reprendre son rôle dans le film de Léa Fazer mais a du finalement le refiler à Alice Belaïdi pour des problèmes d'agenda. Dommage, le symbole aurait pour le coup été assez fort ...

Note : 7,5 (Barème notation)

La bande-annonce  

mardi 26 août 2014

Enemy

Drame - Canada / Espagne (1h30)
Réalisé par Denis Villeneuve
Avec Jake Gyllenhaal, Mélanie Laurent, Sarah Gadon

cette rentrée n'emballe pas grand monde

Présentation : Adam (Jake Gyllenhaal) a une vie morne entre un boulot de prof qui a l'air de passablement l'emmerder et une girlfriend (Mélanie Laurent) qui ne semble pas non plus beaucoup le combler. Un beau jour, il tombe par hasard dans un film sur son parfait sosie (Jake Gylllenhaal aussi du coup...), et tout bascule alors. Qui est cet homme ? Mystère ... 

Quand l'on s'appelle Enemy, qu'on est réalisé par Denis Villeneuve, adapté d'un roman de José Samarago et qu'on est interprété de bout en bout par Jake Gyllenhaal, on peut légitimement s'attendre à ça :
  • un univers pré-apocalyptique tout lisse et très angoissant, comme l'avait déjà campé Fernando Meireilles dans Blindness, l'autre film adapté d'un roman du portugais José Samarago. La photographie beige grisâtre trouvée par Denis Villeneuve avec ses techniciens amplifie cet effet de vide, la ville lambda de Enemy ressemblant presque à un décor de carton-pâte, complètement désincarnée.
  • une mise en scène millimétrée. Denis Villeneuve a déjà amplement prouvé avec Incendies et Prisoners qu'il maîtrisait entièrement son sujet quand il s'agit de jouer sur l'angoisse, l'attente et les silences. On retrouve dans Enemy la même ingéniosité visuelle, qui fait probablement de Denis Villeneuve l'un des faiseurs de thriller pur les plus doués de sa génération.
  • un Jake Gyllenhaal bien torturé, et toujours à la limite du pétage de plomb, avec cette petite étincelle de folie qu'il semble retenir un peu plus à chaque instant.
Ce que j'avais moins prévu :
  • la qualité de la mise en scène est là mais les ficelles sont parfois un peu grosses, notamment avec une ambiance musicale omniprésente et vraiment pas discrète, qui finit par frôler la bande-son de film de série B à force d'en faire des tonnes.
  • une histoire assez invraisemblable et pas si intéressante que ça, et où il ne se passe quasiment rien une fois que l'on a compris le truc, ce qui n'est pas très compliqué. Pas sûr que ça valait un long-métrage.
  • des petites séquences de symbolisme bon marché aussi gratuites qu'inutiles. Le symbolisme, mécanisme préféré des réalisateurs qui n'ont plus rien à dire.
Le pire dans ce film :
  • la scène de la rencontre des doubles, vraiment pas très intéressante.
  • la dernière scène, pas loin du grotesque.
  • le fait que la prestation de Mélanie Laurent, comme d'habitude aussi inexpressive que possible, ne soit pas le principal problème du film.

Un peu de bon mais plus de mauvais donc. On est pas loin de la sortie de route (ceux qui verront le film apprécieront la métaphore, moi non plus je ne suis pas avare de quelques petites symboles faciles de temps en temps).

-

Note : 5 (Barème notation)

La bande-annonce


jeudi 21 août 2014

Courrier des lecteurs : et les vacances dans tout ça ?

Cher médiateur,

Je remarque que le Courrier des lecteurs se fait plus rare en cette salutaire période de vacances, ce qui me semble tout à fait logique compte tenu de la nécessité pour nous autres lecteurs de nous reposer l'esprit en vue d'une rentrée je l'imagine très chargée sur SLETO. Je suis pour ma part artisan-décorateur à Saint-Pierre-et-Miquelon et ces quelques semaines de pause me laissent ainsi la possibilité d'aller enfin pêcher l'espadon, activité très prisée dans ma belle île mais que vos trop fréquents et passionnants billets m'empêchent de pratiquer pendant l'année. Cela étant dit, je remarque pourtant que l'activité ne semble pas ralentir sur SLETO, la période estivale semblant étrangement être pour vous un grand moment de productivité, attitude d'autant plus étonnante que votre paresse fut longtemps proverbiale si je ne m'abuse. Quelle est donc l'explication de ce curieux phénomène ? La direction de SLETO aurait-elle fin réussi à mater les éléments les plus récalcitrants de la rédaction ?

Curieusement,

Fabrice Guyoré
Saint-Pierre-et-Miquelon

-

Cher Fabrice,

Quel bonheur d'abord de constater que la lecture de SLETO enchante non seulement petits et grands mais également métropolitains et ultra-marins. Si nous nous doutions bien que l'écho de notre média avait déjà du faire plusieurs fois le tour du globe, il est tout de même toujours rassurant de constater à quel point SLETO fait aujourd'hui figure de référence dans toute la francophonie. Sachez d'ailleurs à ce sujet qu'après les nombreuses demandes m'ayant été faites par vos cousins du Pacifique, la version kanak de SLETO est en préparation et devrait bientôt voir le jour sur le net.

Mais revenons à nos moutons, ou plutôt vos espadons si je comprends bien, car il me semble effectivement que nous vous devons Fabrice quelques explications sur la productivité estivale de notre beau titre.

J'ai bien peur dans un premier temps de devoir Fabrice vous décevoir : la direction est loin d'avoir réglé les innombrables problèmes de comportements déplorés depuis plusieurs mois au sein de la rédaction, et qui ont largement été relatés dans ce présent Courrier des lecteurs. Si la mauvaise foi de quelques uns a d'ailleurs récemment obligé notre Direction à prendre les mesures qui s'imposaient depuis longtemps, à savoir licencier sans préavis toute la rédaction pour ne conserver à temps partiel que notre stagiaire/DRH, ces mesures ont finalement porté leurs fruits puisqu'elles ont obligé la direction à engager une réflexion profonde sur l'avenir de votre publication préférée.

La salle de la rédaction de SLETO à sa plus forte affluence : il était temps d'agir.

Cette réflexion, qui couvait en réalité depuis longtemps comme me l'a avoué pas plus tard qu'hier notre directeur marketing à peine revenu d'une excursion promotionnelle au Botswana, a ainsi débouché cet été sur une profonde révolution du fonctionnement de la rédaction.

Mise en place depuis le 1er juillet, cette révolution a un nom : DigiCritik®. Sous ce joli nom se cache en effet un outil ô combien novateur qui a depuis deux mois pris le relais de trop nombreux et  capricieux rédacteurs pour produire le contenu qui vous plait tant. Toujours en avance sur son temps, la rédaction de SLETO avait ainsi la conviction depuis un bon moment que le futur de la critique cinéma ne pouvait pas venir du perfectionnement de ses rédacteurs, humains par définition limités d'un point de vue intellectuel et physique, mais d'une innovation technologique novatrice, capable de remplacer à terme le travail de ses rédacteurs.

C'est donc avec une certaine fierté que je me fais Fabrice le porte-parole de toute la direction en vous annonçant que SLETO peut officiellement se targuer d'être devenu le premier média entièrement automatisé, 100% du contenu étant aujourd'hui produit grâce au formidable logiciel DigiCritik®.

Mais qu'est-ce alors que DigiCritik® me direz-vous Fabrice ? 
Réponse simple Fabrice : DigiCritik®, c'est l'assurance de produire à l'infini des critiques cinéma de qualité sans l'inconvénient de devoir passer par un moyen humain.

Notre directeur innovation au moment du dépôt de brevet de DigiCritik®. Il a fière allure le bougre.

Véritable bijou de technologie, DigiCritik® est un logiciel hyper-intuitif se nourrissant de toutes les critiques déjà rédigées depuis 75 ans et de toutes les discussions cinéma publiées sur forums, Facebook et Twitter depuis 10 ans. Grâce à cette formidable banque de données, le logiciel DigiCritik® est ensuite d'une grande facilité d'utilisation pour notre stagiaire qui génère des critiques automatiques par un simple formulaire renseignant les informations suivantes : titre du film, nationalité, genre, réalisateur, acteurs principaux, degré de branchitude, degré de beaufitude, et autres informations de base. Plus impressionnant encore, l'utilisateur peut saisir à l'avance sur une échelle de 0 à 10 le ton voulu dans la critique, 0 correspondant à une déclaration de guerre contre la société de production de film et 10 à une tentative de se concilier les faveurs de celle-ci.

Si la version 1.2 que nous utilisons actuellement a certes encore quelques imperfections, dont celle d'être étrangement incompatible avec les termes "Luc Besson" et "Kev Adams", nous pouvons néanmoins déjà tirer un premier bilan extrêmement positif, le coût de mise en place de ce logiciel dont nous sommes les propriétaires exclusifs n'étant pas grand chose à côté d'une masse salariale mensuelle qui était alors de près de 37500 euros par mois, et ce en plus en plein été à l'heure où tout rédacteur qui se respecte se croit autorisé à procrastiner encore plus qu'il ne le fait déjà pendant le reste de l'année.

L'avenir s'annonce donc radieux comme vous le voyez Fabrice, les autres médias risquant bien vite de devoir baisser pavillon devant l'efficacité diabolique de notre cher DigiCritik®. J'en profite d'ailleurs pour vous rappeler qu'une grande braderie sera organisée la première semaine de septembre devant nos locaux, tous les ordinateurs derniers cris et nombreuses consoles de jeux achetés à l'époque pour nos rédacteurs ne nous étant plus d'aucune utilité. Il est temps de faire place nette.

Bien cordialement

Votre médiateur

La version 2.1 de DigiCritik® permettra également de générer des critiques par Wifi de n'importe quel endroit du globe

lundi 18 août 2014

Les Combattants

Comédie dramatique française de Thomas Cailley  - 1h38
Avec Adèle Haenel, Kevin Azaïs

La transition énergétique il va falloir qu'on y mette tous un peu du nôtre

Présentation : Alors qu'il aide son frère à maintenir en vie la petite entreprise familiale après la mort de son père, Arnaud rencontre l'étrange Madeleine, déterminée elle à intégrer l'armée pour sophistiquer ses techniques de survie. C'est le début d'une amitié pas comme les autres.

Les Combattants, c'est la preuve parfaite que le cinéma français aime décidément parfois se compliquer la vie.

Pendant une bonne heure, le premier long-métrage de Thomas Cailley est ainsi indiscutablement un des films de l'année car il a une qualité criante : il est extrêmement drôle. 

Souvent perdu entre la comédie bas de gamme qui fait du pognon et la comédie intellectualisée qui ramasse les bonnes critiques, le cinéma français a pourtant généralement du mal à produire de la comédie tout simple mais de qualité, faire rire pour faire rire étant apparemment toujours une honte au pays de la Nouvelle Vague. 

Le miracle des Combattants est justement là : sans jamais aller chercher vers un humour d'entre-soi où le rire permet de faire étalage de son bagage culturel et social, la comédie de Thomas Cailley réussit à être formidablement drôle sans jamais aller chercher non plus du côté du rire facile, labellisé 5 millions d'entrée. Juste très bien écrit et parfaitement interprété, son film est en effet immédiat tout en étant recherché, d'un loufoque qui semble ne tenir qu'à un fil, une intonation de voix ou un mouvement de caméra, mais fait pourtant mouche à chaque fois. Farce tranquille et sûre de sa force qui se contente de faire rire à chaque fois qu'elle le veut mais pas à chaque fois qu'elle se sent obligée de le faire, le coup d'essai de Thomas Cailley frôle ainsi longtemps le coup de génie avec une certaine nonchalance, ce qui n'enlève rien.

Un coup de génie aussi largement redevable au génie comique absolu d'une Adèle Haenel qu'on n'attendait pourtant pas forcément à ce niveau compte-tenu de son CV pour l'instant presque exclusivement dramatique. Dans un magnifique rôle de Droopy féminine sociopathe et hyperactive à total contre-emploi de sa brillante prestation dans le dernier Téchiné (L'homme qu'on aimait trop), elle crève ainsi l'écran de manière complètement hallucinante à chacune de ses apparitions à l'image, la moindre de ses demi-grimaces ou de ses intonations de voix semblant se transformant systématiquement en quasi-fou rire. L'année 2014 aura sans aucun doute été en grande partie la sienne et il est fort probable que l'on reparle de tout cela aux prochains Césars.

On se prend alors à rêver que Thomas Cailley se contente de jouer avec ce jouet comique tombé du ciel jusqu'à la fin, nous laissant le sublime privilège du profiter de la stupéfiante présence d'Adèle Haenel, pas loin d'être capable de déclencher l'hilarité d'un froncement de sourcil. Hélas, sans que cela gâche quoi que ce soit pendant la plus grande partie du film, on pressent vite que le tragique finira par s'inviter au rendez-vous, Thomas Cailley ayant pris soin de semer dès le début ses petits cailloux dramatiques pour n'avoir ensuite qu'à les ramasser et faire parler la poudre.

Quand Les Combattants bascule dans un drame final beaucoup plus commun, ou en tout cas assez classique dans le paysage français qui produit 50 drames de ce type par mois, on n'est ainsi pas complètement surpris mais tout de même légitimement un peu déçu. Si la volonté de faire de son film une très atypique comédie romantique n'est pas en soi condamnable, c'est un genre qui se respecte, on peut en revanche regretter la maladresse d'un final où Thomas Cailley ne semble plus vraiment savoir s'il veut encore faire rire ou seulement faire réfléchir et émouvoir, empêchant de complètement profiter de la conclusion d'un film qui finit au ralenti après être parti à 200 à l'heure.

Dommage car cela obscurcit un tout petit peu le souvenir d'un film qui reste pourtant, quel que soit son véritable genre, une des productions les plus séduisantes de cette année 2014. En faisant l'effort d'oublier vingt dernières minutes assez laborieuses et en se repassant en boucle la chanson phare de sa bande-son (ici), on finira sans doute par retenir l'essentiel : l'énergie tranquille habitant un film si souvent insolent de facilité comique. Il n'y a plus à espérer que cette réussite en appelle d'autres.

Note : 8,5 (Barème notation)

La bande-annonce


dimanche 17 août 2014

Trap Street

Thriller chinois de Vivian Qu - 1h33
Avec Lu Yulai et Wenchao He

La version chinoise de Forrest Gump était très attendue

Présentation : un jeune géomètre rencontre un jour une mystérieuse jeune fille en mesurant une des rues de Shanghai. En cherchant à la revoir, il réalise que la rue où elle s'était rendue ne peut être inscrite sur la carte comme si elle n'existait tout bonnement pas. Le mystère ne fait alors que s'épaissir.

Le cinéma chinois aime bien les idées c'est certain, et n'a jamais peur de livrer 90 minutes de pure démonstration de style pour le bien d'une seule de ces idées qu'il pense assez fortes pour parler d'elles-mêmes. Victoire du pur esprit sur la matière.

Trap Street tient ainsi dans une seule idée, simple mais effectivement potentiellement assez puissante : comment peut se débattre un individu seul une fois pris dans le piège kafkaïen du système de surveillance généralisé développé par un régime chinois quasi-totalitaire ? A ceci s'ajoute la thématique technologique, que Vivian Qu a voulu insérer pour montrer en action cette jeune génération chinoise qui en se rendant esclave de la technologie s'enferme elle-même dans une prison bien plus sophistiquée que toutes celles construites jusque-là.

L'ennui, comme souvent avec certains films chinois, c'est que passée cette belle idée il ne faut pas compter sur Vivian Qu pour élargir le propos et livrer autre chose que ce précepte de départ. Profondément énigmatique et refusant de se livrer jusqu'à la fin (surtout à la fin d'ailleurs), Trap Street est en cela une métaphore assez réussie d'une société où chacun est amené à douter de tout et tout le monde, et où personne ne fait plus confiance à personne.

Opaque, elliptique, sans cesse en phase de réactualisation, Trap Street est au final un labyrinthe si bien conçu que l'on en sort jamais tout à fait, aucune solution évidente ne semblant s'offrir à l'issue de cette partie de cartes dont on ne connaît finalement vraiment ni les joueurs, ni même les règles.

Réussite formelle et métaphorique évidente, le film de Vivian Qu n'en reste pas moins une vraie frustration cinématographique qui finit par décourager à force de se refuser au spectateur. C'est une façon de penser le cinéma qui se défend, mais sans doute pas la plus immédiatement réjouissante.

A noter pour finir que Vivian Qu était aussi la productrice de Black Coal, un autre récent film chinois pour le moins opaque et pas forcément aussi jouissif que sa présentation le laissait penser ... Ceci explique aussi sans doute cela.

Note : 7 (Barème notation)

La bande-annonce


vendredi 15 août 2014

Wish I Was Here (Le rôle de ma vie)

Comédie dramatique US de Zach Braff - 1h47
Avec Zach Braff, Kate Hudson, Joey King, Mandy Patinkin

Zach Braff, une intensité de tous les instants, même dans le rayon congelés

Présentation : Aidan et Sarah vivent heureux avec deux beaux enfants mais ne sont en fait pas si heureux que ça car ils n'ont plus un rond maintenant que beau-papa a le cancer et ne peut plus payer l'école privée des bambins. C'est le moment que choisit logiquement Aidan, comédien raté n'ayant toujours renoncé à son rêve, pour essayer enfin de subvenir aux besoins de sa famille et devenir le héros qu'il aurait toujours voulu être ...
10 ans, Zach Braff aura pris son temps pour donner à son fameux Garden State un petit frère, si attendu par tous les jeunes adultes qui avaient craqué sur le premier long-métrage de la star de Scrubs. 10 ans, c'est aussi une éternité dans l'actualité culturelle d'aujourd'hui, une mode en balayant généralement une autre au bout de deux semaines. Après 10 longues années, on était donc en droit de s'attendre à un semblant de maturation chez le premier adulescent des temps modernes ... Vœu pieux car Wish I Was Here est bien le parfait jumeau de Garden State, mais un jumeau qui n'a pas spécialement vieilli.

Difficile en effet en voyant ce film de croire que l'on est bien en 2014 tant Zach Braff semble manifestement s'accrocher au passé, un passé qui ne reviendra hélas pas et c'est tout le drame de son film. Si Garden State avait largement réussi à résonner avec un certain air du temps, Wish I Was Here ne résonne ainsi malheureusement plus avec rien, le spectacle assez triste d'un Zach Braff incapable de tourner la page d'un style depuis longtemps ringardisé faisant plus de peine qu'autre chose.

Car Wish I Was Here est vraiment le prototype du film inutile, sans idées et à peu près aussi soigné visuellement qu'une série B américaine, l'ambiance californienne très ensoleillée tranchant étonnamment avec l'univers plus grisonnant de Garden State, une mise à jour dont on se serait bien passé. Plus grave, la naïveté du propos que l'on avait pu trouver charmante dans Garden State atteint ici des sommets de niaiserie, le gloubi-glouba métaphysico-moralo-familial agité par Zach Braff plombant très vite un film déjà pas follement drôle. On pourrait mettre certes tout cela sur le compte d'une émouvante sincérité mais trop de scènes frôlent franchement le ridicule pour que Zach Braff puisse s'en tirer ainsi, cette bêtise constituant d'ailleurs un vrai fil rouge comme le prouvent la première et la dernière séquence, toutes deux assez incroyables de débilité. Clôturer son film sur une telle parodie de cinéma filmée au ralenti, ça relève en effet quasiment de la provocation.

Seul intérêt du film alors, guetter les multiples et tristounets emprunts à Garden State, dont la fréquence montre bien l'incapacité de Zach Braff à proposer quelque chose d'un tout petit peu neuf. Au programme donc :
  • la bande-son : vous avez aimé celle de Garden State, vous aimerez alors probablement celle là puisque c'est l'exact copier-coller 10 ans après. On retrouve d'ailleurs Simon & Garfunkel et The Shins déjà présents dans Garden State histoire de ne pas prendre trop de risques.
  • les guest stars : là encore on reste en famille puisqu'on retrouve Michael Weston (l'ancien pote flic dans Garden State) et surtout Jim Parsons (le mec à l'armure), depuis devenu la méga-star que l'on sait dans The Big Bang Theory. Ah et puis au cas où on n'ait pas compris qu'on était entre potes il y a aussi une petite apparition de Donald Faison, alias Turk dans Scrubs. J'en oublie peut-être.
  • le lourd contexte familial : une maman décédée et un papa qui n'approuve pas la vie du rejeton, sauf qu'en fait si c'est un gentil finalement.
  • bon par respect pour Kate Hudson on ne va par contre pas essayer de la comparer avec Nathalie Portman. De toute façon son personnage est parfaitement creux et on ne voit pas bien ce qu'elle aurait pu en faire de plus. C'est dommage, ça faisait quelque part plaisir de la revoir dans un film qui n'était a priori pas une crétinerie absolue, comme l'essentiel de sa filmographie depuis 10 ans.
Possible que j'en ai oublié dans ce jeu des 7 familles d'ailleurs, n'hésitez pas à me signaler d'éventuels oublis, je me ferais un plaisir de vous piquer vos idées.

Que dire donc de plus à part qu'avoir attendu 10 ans pour ça c'est ... disons dommage.

Coïncidence amusante pour finir, puisque je n'aime pas vous laisser comme ça sur des notes trop négatives : le titre de Paul Simon utilisé pour l'arrivée du frère de Zach Braff au Comic-Con (Obvious Child) sera aussi le morceau titre du film Obvious Child qui sort le 3 septembre prochain avec la très douée Jenny Slate au casting, et dont je vous reparlerais d'ailleurs assez longuement. Amusant de voir à quel point certaines chansons peuvent être exhumées des décennies après et rester encore très actuelles.

Note : 4 (Barème notation
Je voulais quand même donner la moyenne à la base juste pour les bonnes intentions mais à bien y réfléchir ça ne la mérite vraiment pas.

La bande-annonce


jeudi 14 août 2014

The Double

Thriller britannique de Richard Ayoade - 1h33
Avec Jesse Eisenberg et Mia Wasikowska

Franchement ça vaut peut-être pas vraiment le coup de rentrer dans cette boîte.

Présentation : dans un étrange monde un peu glauque, Simon ne parvient pas à lutter contre une timidité maladive et est complètement invisible à l'élue de son cœur, la elle aussi très discrète Hannah. C'est à ce moment qu'apparaît le nettement plus rock'n'roll James dont la plus étonnante caractéristique est de ressembler à Simon comme deux gouttes d'eau. Mais qu'est ce que ça peut bien vouloir dire ?

Avant toute chose, je tiens à dire que je n'ai jamais lu le roman de Dostoïevski dont est librement adapté The Double. J'aurais sans doute du le faire si j'avais été un vrai professionnel consciencieux mais j'avoue avoir eu la flemme. Ne vous attendez donc pas à une analyse sur la fidélité de la copie à l'original, je n'en ai aucune idée. J'ai juste cru comprendre que ce roman avait été un bide monumental à l'époque dont l'écrivain russe avait mis un certain temps à se remettre. Ceci explique peut-être cela finalement.

Côté réalisateur, je partais par contre avec un a priori très positif. Le premier long-métrage de Richard Ayoade (Submarine) avait été une des très bonnes surprises de 2011 avec sa bande-son concoctée spécialement pour l'occasion par Alex Turner. Problème : là où Submarine avait su être à la fois simple et élégant, The Double est au contraire un film extraordinairement maniéré et ampoulé, qui nous laisse avec la désagréable impression que Richard Ayaode a voulu faire de ce deuxième film une véritable démonstration de style.

Rien dans The Double, sorte de fable d'anticipation croisé avec un thriller psychologique, ne rappelle en effet la tranquille assurance de Submarine. Tout y est un peu trop artificiel, les effets de sons et de lumières paradant sans cesse comme dans un gigantesque manège qui tournerait dans le vide, la mise en scène étant prise dans un engrenage vite fatiguant où le seul but semble être de ne laisser aucune place à l’œil humain, pris au piège d'une machinerie de fête foraine. Pour résumer, c'est un peu comme si un Wes Anderson un peu déprimé avait voulu faire un remake trop personnel de Blade Runner. On comprend bien que tout ça est très inventif et plutôt bien foutu mais on ne sait pas trop ce qu'on vient foutre là-dedans.

Dans ce fatras souvent indigeste que Richard Ayoade décide en plus de recouvrir d'une vacarme sonore constant à la limite du supportable, on retrouverait presque des accents du catastrophique The Zero Theorem de Terry Gilliam récemment sorti, ce qui montre bien l'étendue du problème. Wes Anderson a décidément fait beaucoup de mal au cinéma ...

Quand au fond du film, il est hélas considérablement obscurci par l'épaisseur étouffante de la mise en scène, reléguant l'ambition existentielle du film au second plan derrière un forêt de gadgets que l'on a l'impression d'avoir déjà vu dans 10 films du même genre. Pour faire de cette histoire quand même assez abracadabrante une vraie fable métaphysique, il aurait sans doute fallu aller creuser beaucoup plus profondément dans les enjeux psychologiques sous-jacents se cachant derrière cette intrigue un peu lourdingue et ces personnages pas franchement très attachants. Trop occupé à faire joujou avec ses boutons, Richard Ayoade n'avait hélas sans doute pas le temps de partir en quête de cette subtilité qui fait cruellement défaut à son film. Reste une machine bien conçue mais sans grand intérêt et que l'on oubliera bien vite.

A noter tout de même l’étonnante performance de Jesse Eisenberg, malheureusement neutralisée par l'inconséquence du film. Ce n'est pas tous les jours qu'un acteur à l'occasion d'explorer dans le même film deux facettes de son jeu, voire même de sa propre personnalité. A bien y regarder, on pourrait presque voir The Double comme une métaphore de la jeune carrière de Jesse Eisenberg, ayant fini par se libérer de l'image d'ado maladroit qui lui collait à la peau à ses débuts. Bon c'est sûrement tiré par les cheveux mais c'est difficile de ne pas finir par divaguer quand on s'emmerde au bout de 10 minutes pendant un film.

Quant à la fameuse anecdote, la voilà : les deux ados amoureux de Submarine (Yasmin Paige et Craig Roberts) ont tous les deux des seconds rôles dans le film. Puissant.

A noter enfin que pour le fans de ce genre de scénario schizophrène, ce sera également plus ou moins le sujet du prochain Enemy de Denis Villeneuve qui sort le 27 août. On en reparlera.

Note : 5,5 (Barème notation)

La bande-annonce


mardi 12 août 2014

Le Beau Monde

Drame français de Julie Lopes-Curval - 1h37
Avec Ana Girardot, Bastien Bouillon, Aurélia Petit, Baptiste Lecaplain


Présentation : Lucie vit avec sa mère à Bayeux mais rêve de monter à Paris pour étudier la haute couture. Sur son chemin elle croise Antoine, jeune bourgeois du coin : les deux ne tardent pas à tomber amoureux mais un monde les sépare toujours, fossé social que Lucie vit toujours comme une profonde douleur.

Faire d'un énième récit d'apprentissage un grand film, il faut maintenant franchement le faire quand tout a déjà été dit et plutôt bien dit dans la littérature et le cinéma français. Deux siècles après Balzac et Flaubert qui ont largement épuisé le sujet, et seulement un an après le choc de La vie d'Adèle qui a ramené au premier plan un certain sens de la lutte des classes au cinéma, Le Beau Monde est donc l'histoire de la jeune Alice et de ses débuts dans un grand monde dont elle ne connaît à peu près rien et qui la blesse autant qu'il l'attire. Du grand classique donc.

De ce point de départ apparemment banal, Julie Lopes-Curval parvient pourtant à décupler les potentialités pour en faire une œuvre à la fois redoutablement simple et foisonnante, remplie d'une vraie sensibilité que l'on ne croise pas si souvent sur les écrans. Transfigurant cette petite histoire par le biais d'une fable sociale d'une rare finesse psychologique, elle livre une copie d'une maturité évidente où Ana Girardot excelle en campant la précarité affective constante de son héroïne, luttant obstinément pour garder la tête hors de l'eau dans une nouvelle vie où tout lui est à peu près étranger.

Car Le Beau Monde est tout sauf une simple histoire d'amour ou la seule chronique d'un choc culturel, mais bien un roman d'apprentissage au sens le plus noble du terme. Par petites touches et sans fracas, Julie Lopes-Curval dresse un élégant portrait de femme qui ne cesse jamais de gagner en subtilité et d'agréablement surprendre un spectateur qui aurait pu logiquement s'attendre à une certaine somme de clichés. Car c'est aussi dans le refus des situations excessives et des facilités de scénario que Le Beau Monde gagne progressivement ses lettres de noblesse, n'éludant jamais la complexité humaine du matériau qu'il travaille. Guère de romance non plus dans ce film où l'on parle d'amour sans jamais chercher à verser dans le sentimentalisme, et où ne compte finalement que le récit de l'amour de Lucie, maladif, incontrôlé et disproportionné.

La plus belle qualité de ce Beau Monde est d'ailleurs au fond la subtilité avec laquelle il sait toujours éviter la caricature quand on sent venir un tournant trop évident, évitant ainsi autant le classique happy end grotesque que le désastre toujours tentant dramatiquement parlant. C'est en cela que l'on peut dire que Julie Lopes-Curval fait ici preuve d'un réel courage, celui d'évoluer dans cette très incertaine frontière entre bons sentiments et noirceur où rien n'est donné d'avance mais tout se gagne à force de constance. Il fallait cette finesse et cette palette de sensibilités pour livrer le récit d'une identité toujours en construction, dont le fil rouge symbolique est la recherche du sens artistique, procédé là encore d'une certaine ingéniosité.

En déjouant les pronostics, cette fausse romance mais vraie histoire de cœur trouve une vraie singularité, parfaitement illustrée par un final aussi bien pensé que ce qui l'a amené et qui nous conforte dans l'idée qu'il n'a jamais été ici question de nous prendre pour des idiots. A mesure que la fin approche et que l'élégance du propos se révèle on retrouve d'ailleurs des accents du très beau Un amour de jeunesse de Mia Hansen-Love, à qui Julie Lopes-Curval semble avoir emprunté la lumière et l'idée que de la fragilité finit par émerger une source de tranquillité. On résumera enfin en disant que Le Beau Monde est un film aussi profondément intelligent qu'émouvant, ce qui est tout sauf courant.

Note : 9 (Barème notation)

La bande-annonce

lundi 11 août 2014

Robin Williams : 1951 - 2014


Je profite d'être encore debout à cette heure déjà avancée de la nuit pour réagir à cette bien triste nouvelle qui vient de commencer à faire le tour du net et qui sera évidemment abondamment reprise dès demain : Robin Williams, l'éternel mec génial que l'on croyait immortel ne l'était finalement pas, et a par conséquent décidé de nous quitter, apparemment par sa volonté même, en cette triste soirée du 11 août 2014.

Comme beaucoup de personnes nées au milieu des années 80, j'ai un peu grandi avec celui que l'on imaginait tous comme l'homme parfait, aussi bon papa que chouette camarade. Que je n'ai finalement vu qu'une petite partie de sa filmographie, et pas forcément la meilleure (je n'ai par exemple que récemment vu Le cercle des poètes disparus et n'en garde d'ailleurs pas un souvenir inoubliable) n'a donc finalement pas la moindre importance car les quelques images que je garde de lui à l'écran resteront toujours parmi les premières de ma jeune vie de cinéphile, et ceci quel que soit l'homme qu'est réellement été Mr. Williams ou pas.

Parmi ces films, il y en a un que je regarde toujours étrangement avec le même plaisir quand une chaîne télé en manque de contenu estival ou hivernal m'en donne l'occasion : Mrs Doubtfire. On pourra analyser longuement les ressorts sentimentaux qui peuvent nous rattacher à des films en apparence aussi anodins mais là encore ça n'aurait au fond aucun intérêt : quand on aime on ne compte pas. 

Dans le joli final de ce film que vous pourrez revoir ci-dessous et qui là encore ne cesse pas de bêtement m'émouvoir, Robin Williams alias Mrs. Doubtfire pour l'occasion explique tranquillement à un jeune enfant qui lui a écrit pourquoi certaines familles se déchirent et pas d'autres, et quel sens faut-il accorder à tout ça. 20 ans après (oui le temps passe...), ce court monologue est assez incroyablement toujours d'une étonnante modernité et résume bien je le crois le charme qu'a pu opérer monsieur Robin Williams sur l'esprit naïf mais plein de bonne volonté de jeunes garçons comme moi.

Mort ou pas, cet homme fera donc toujours un peu partie de nos vies, et il ne me paraît pas excessif de paraphraser les derniers mots de Mrs. Doubtfire pour l'occasion :

All my love to you Robin

-


dimanche 10 août 2014

Winter Sleep

Drame turc de Nuri Bilge Ceylan - 3h16
Avec Haluk Bilginer, Demet Akbag, Melisa Sozen



Présentation : Aydin, comédien plus ou moins raté à la retraite, vit de vieux jours apparemment paisibles au fin fond de l'Anatolie dans un étrange hôtel troglodyte qu'il tient avec sa jeune femme et sa sœur. Une banale mais sordide histoire de loyers impayés par l'un de ses locataires fait progressivement éclater un certain nombre de tristes vérités qu'il avait jusque là préféré enfouir.

On n'aurait a priori pas imaginé devoir aller jusqu'au fin fond de l'Anatolie pour retrouver des accents perdus de l'oeuvre de Tchekhov mais c'est pourtant ici le pari un peu fou de Nuri Bilge Ceylan, pas effrayé par cette transposition quasiment suicidaire, surtout quand l'on décide de prendre presque 200 minutes pour s'adonner à l'exercice.

Bien que certes largement universel dans son ambition, Winter Sleep ressemble ainsi terriblement à un conte russe dans son incroyable violence rentrée, laissant éclater à intervalles réguliers une passion tout en contraste avec la froideur des paysages glacés et des apparences sociales.

Comme Tchekhov et ses grands contemporains russes, Nuri Bilge Ceylan livre en effet avec sa Palme d'Or cannoise un récit hanté par le masochisme et la nécessité de la punition, où chacun se flagelle et punit tour à tour par le seul moyen des mots, pour ne laisser au final que des perdants. Par cette succession de huis clos et de guerres sans merci, il met en branle une entreprise systématique de destruction des idoles où le vernis social et moral se désagrège progressivement pour laisser chacun seul face à sa conscience, compagnie qu'il ne dépeint pas comme très souhaitable.

Conte philosophique glaçant, ce long mais dense récit est pourtant aussi une histoire de quête de soi, et surtout d'une forme de réconfort, consolation que semble nous offrir un final tout en poésie mais sans doute insuffisant pour balayer les traumatismes étalés jusque là. Car il faut bien dire qu'à force de lessiver un à un ses personnages, Nuri Bilge Ceylan finit aussi par lessiver ses spectateurs par la même occasion, double alors parfait de son héros qui n'a de cesse d'écraser les autres sous le poids de son implacable intégrité. 

Mais cela n'empêche pourtant pas Winter Sleep, histoire de la haine et/ou de l'amour que chacun interprétera à l'aune de ses propres démons, de frapper au final surtout par sa profonde préoccupation pour l'humanité de chacun, qu'elle se matérialise dans la cruauté la plus gratuite ou la générosité la plus spontanée. Forcément toujours un peu coupable et innocent à la fois, l'homme de Nuri Bilge Ceylan est une créature alors certes imparfaite mais aussi tellement plus intéressante que le portait que l'on peut en dresser dans d'autres cinémas.

Pas impossible hélas que la durée, peu commune, et l'intellectualisme forcené du propos, sans concessions, fassent office de repoussoir pour beaucoup, le brevet de passage imposé par Ceylan n'étant probablement pas un passeport pour faire décoller sa carrière auprès du très grand public. C'est une Palme d'Or en même temps, vous vous attendiez à quoi ?

Note : 9 (Barème notation)

La bande-annonce

samedi 9 août 2014

Chronique du matraquage commercial

Un film qui m'ordonne de tomber amoureux c'est louche par ailleurs, mais ça n'est pas le problème

Je n'ai pas spécialement prévu de transformer ce blog en compte Instagram, mais j'avoue que cette affiche m'a un peu interpelé, pour ne pas dire plus ... (assez en tout cas pour avoir l'air d'un touriste assez con pour carrément prendre en photo une affiche dans le métro)

On connaissait ainsi déjà de magnifiques astuces pour nous inciter gentiment à aller au devant de navets divers et variés :
  • "Un film co-produit par un mec qui avait déjà vaguement travaillé sur un autre film qui était vachement bien"
  • " Un film avec cet acteur que tout le monde adore mais qui n'apparaîtra que 2 minutes alors que l'on avait l'impression qu'il était limite acteur principal au moment de la promotion du film"
  • "Un film où l'on vous promet qu'il y aura aussi un peu de cul puisqu'il y a 2 secondes un peu aguicheuses dans la bande-annonce où on voit le début du bout d'un sein"
  • et autres magnifiques tours de passe-passe destinés bien sûr à faire le bonheur de tous ...
Et pourtant Messieurs/Dames tout ça n'était encore que de l'amateurisme au rabais puisque voici sous vos yeux la dernière invention en date des publicitaires pour attirer le public dans les salles : les tweets de spectateurs conquis ! 

Au-delà de la profonde médiocrité du procédé (on placarde potentiellement l'avis de préados pour qui Twilight représente le graal cinématographique), c'est en plus probablement d'une malhonnêteté quasi-criminelle : vu que le film n'est pas sorti, c'était quoi le deal pour que ces charmantes personnes aux avis si bien construits aient pu voir le film en avant-première ? Un tweet gentil en guise de contribution financière ?

Tout ça est cela dit suffisamment pathétique pour que je perde plus de temps à l'analyser, et d'ailleurs je tiens à contribuer à cette chouette innovation en proposant d'aller encore plus loin. Bientôt sur vos murs donc :
  • "Le mot du réalisateur : il est vachement bien mon film je vous jure, allez-y ! " 
  • ou même carrément tant qu'on y est : "Recommandé par l'attaché de presse du film qui ne l'a même pas vu mais qui vous assure que c'est génial !"
Décidément, l'industrie du cinéma a beaucoup de respect pour l'intelligence de ses consommateurs. 

Bref, ça n'avance à rien mais ça méritait quand même d'être dit.

vendredi 8 août 2014

Neighbours (Nos pires voisins)

Comédie US de Nicholas Stoller - 1h37
Avec Seth Rogen, Rose Byrne, Zach Efron, Dave Franco

http://www.syfy.co.uk/sites/syfy.co.uk/files/Bad%20Neighbours.jpg
C'est confirmé, JJ Abrahms a pris une direction artistique inattendue pour le prochain Star Wars. Attendez-vous à des surprises pour les duels de Jedis ...

Nicholas Stoller derrière la caméra, Seth Rogen devant : l'affiche est forcément un peu alléchante si l'on aime les bonnes vieilles recettes de la maison Apatow. Alors oui on aurait peut-être préféré Greg Mottola à la réalisation et Nicholas Stoller ne se déplace normalement jamais sans son Jason Segel au scénario et/ou devant la caméra mais ça n'empêche pas la formule de marcher à peu près comme d'habitude pendant la première partie du film. Des bons gros gags bien gras flirtant toujours près de cette fameuse ligne rouge entre l'hilarant et le juste vulgaire, de l'énergie et de la weed à revendre, Seth Rogen qui prouve qu'il est bien un des monstres de la comédie US contemporaine, Rose Byrne qui prouve encore une fois après American Trip mais surtout Mariage à l'anglaise qu'elle sait allier charme et pitreries*, ... , tout est à peu près là.

* ce qui est certes un peu réducteur mais malheureusement un peu la seule place accordée aux femmes chez Apatow, qui reste hélas un cinéma complètement crypto-réac comme le prouve d'ailleurs le fait que bobonne reste forcément à la maison pendant que monsieur va jouer à l'employé de bureau en fumant des spliffs.

Bon c'est vrai que l'on a un peu l'impression d'être dans une bizarre rencontre entre 40 ans mode d'emploi et Project X sans bien comprendre si l'on n'est dans une farce pour teenagers ou pas, et qu'on ne saisit pas exactement ce que Zac Efron vient faire là et s'il a une autre place dans ce film que celui de cliché sur patte mais bon tant pis, l'important ça reste de se marrer. Et les bébés qui reniflent des préservatifs c'est quand même marrant non ? Alors pourquoi pas.

Le souci, c'est que Neighbours, à la différence de la quasi-totalité des films de la bande à Apatow, n'a cette fois pas été écrit par Stoller, Roger, Segel, Evans and co. Et ça se voit, un peu dans les vannes, pas toujours aussi percutantes que d'habitude, mais surtout dans le scénario, franchement très limité en dehors du principe de montrer des grosses teufs de fou à côté de la gentille maisonnée pleine d'amour de Seth Rogen et Rose Byrne. Rapidement, on se rend alors compte que Nicholas Stoller n'a plus vraiment grand chose à nous montrer, ne sait plus où aller et finit donc inexorablement par complètement tourner en rond. Les bonnes vannes se font de plus en plus rares, l'énergie et le rythme s'épuisent sans que Stoller semble pouvoir y faire grand chose et l'on a bien compris que ce sera bientôt la fin et que, contrairement à la dernière prouesse de la bande du même nom, on ne risque pas de beaucoup se marrer.

Car oui on savait déjà de toute façon que les films Apatow et assimilés avaient toujours une vilaine tendance à finir en eau de boudin et miévreries diverses et variées, histoire de rappeler quand même que Mr Apatow est un bon amerloque républicain qui aime bien se marrer mais sait où sont les vraies valeurs. Triste. Encore plus triste ici car le final de Neighbors est vraiment une immondice sans nom avec sa pseudo-morale de supermarché qui a l'air de sortir de la bouche d'un candidat de Secret Story, et si l'on n'adorait pas les blagues de maternelle on serait bien tenté de déchirer notre place et ne jamais revenir. Mais bon il faut parfois faire des concessions, ça aussi c'est triste mais c'est comme ça (merde moi aussi je fais des fins à la Apatow maintenant).

Au-delà de ce raté trop prévisible, on regrettera aussi que Nicholas Stoller ne prenne finalement jamais le temps de nous expliquer quel était l'intérêt de débaucher Zac Efron, alors que ce mec, aussi puant qu'il en est l'air, est quand même un vrai symbole de la pop culture teen à lui tout seul avec lequel il y avait sûrement moyen de faire quelque chose de plus grand. Alors que quelques flashs laissent un moment croire que l'on pourrait presque se retrouver dans une espèce de réflexion sur l'insondable bêtise et tristesse de la vie de college boy US, un peu à la Spring Breakers, Stoller et ses scénaristes rebroussent vite chemin pour se contenter de filmer ses biscotos bien huilés et laisser la subtilité bien au fond du placard. Du duel promis, ils ne livrent alors qu'un monologue vite creux et pas toujours tordant, Zac Efron et ses boys n'étant finalement ici que comme de bêtes épouvantails juste là pour rappeler qu'il faut rester sérieux quand même hein.

Tout le drame, même si je me suis quand même souvent bien marré n’exagérons rien, est donc là. Moins drôle que la plupart de ses prédécesseurs, ce dernier produit de la maison Apatow n'offre pas grand chose en remplacement et donne en partie raison à ses détracteurs qui n'y verront qu'une usine à vannes puérils sans autre raison d'être. Un retour à zéro un peu bête alors même que le dernier Stoller (5 ans de réflexion) avait pourtant lui eu la bonne idée d'être étonnamment pas si bête que ça. Le futur nous dira alors si les insuffisances ce Neighbors ne sont que le fait de scénaristes un peu limités ou le symptôme plus profond des limites mêmes de la fabrique Apatow.

Note : 6,5 (Barème notation)

La bande-annonce


jeudi 7 août 2014

Moonwalk One

Documentaire de Theo Kamecke
US - 1h48

C'est bien gentil de regarder les étoiles mais pendant ce temps plus personne ne surveille le parking

Présentation : Presque 35 ans après sa sortie aux États-Unis et 32 après sa présentation au festival de Cannes (Prix Spécial du Jury), Moonwalk One sort finalement en France, étrange hasard du calendrier 2 ans après la mort de son principal héros, Neil Armstrong. Dissertation libre sur le premier pas de l'homme sur la Lune, le documentaire de Theo Kamecke est sans aucun doute un des plus étranges objets filmés que vous aurez l'occasion de voir cette année sur des écrans français.

Moonwalk One, ça n'est pas vraiment le documentaire type que vous pourrez voir sur France 5 ou Arte, à moins de supposer que Fred et Jamy se soient perdus en plein milieu du festival de Woodstock et aient ingéré une sacré quantité de trucs marrants. S'ouvrant comme un film hippie des années 60/70 qui semble invoquer on se sait quelle divinité perdue entre l'Inde et les vapeurs de l'herbe médicinale, Moonwalk a ainsi tout des standards culturels de cette époque désormais bien révolue, en faisant de ce fait un trésor archéologique assez réjouissant. Par son montage chaotique, par son ambiance musicale gavée d'orgues, d'échos lointains et de sons saturés, le doc de Theo Kamecke est ainsi un beau testament d'une époque où l'on avait ainsi apparemment pas peur de filmer sous l'effet de substances diverses et variées, et pourrait d'ailleurs tout à fait servir de clip vidéo à un album complet de Pink Floyd*.

* Note : ce billet a été écrit sans l'aide de quelconques substances mais justement sous l'effet de l'écoute de Atom Heart Mother de Pink Floyd, subtertuge parfait pour se replonger dans l'atmosphère du film.

Au moins autant qu'un témoignage scientifique, ce Moonwalk One est donc bel et bien une vraie œuvre artistique, comme le prouve d'ailleurs le fait que son réalisateur ait vite choisi d'abandonner le cinéma pour carrément se consacrer à la sculpture. Mais il ne faudrait pas pour autant croire que Moonwalk One n'est qu'un délire de hippies car 35 ans après il est impossible de ne pas reconnaître également à cette étrange fatras filmé une véritable valeur scientifique et historique, voire même philosophique.

Scientifique d'abord parce qu'au delà de ses circonvolutions artistiques, Moonwalk One est un vrai documentaire remarquablement documenté, l'appui de la NASA ayant permis à Theo Kamecke d'offrir aux spectateurs des images souvent inédites et proprement splendides. Si la valeur ajoutée de l'artiste est bien là, on pense notamment au décollage d'Appolo monté de façon absolument bluffante, tout cela n'aurait pas été possible sans un travail préalable de montage qui ne doit rien au hasard ou à l'ingestion de substances quelconques. En parallèle des évocations quasi-spirituelles semées ici et là, Moonwalk One porte d'ailleurs un vrai effort de vulgarisation scientifique, remettant bien au goût du jour cet exploit scientifique insensé qu'a représenté le voyage sur la Lune compte-tenu des moyens de l'époque, fait objectif que l'on a sûrement tendance à oublier aujourd'hui. C'est dans cette alternance assez unique de démonstrations presque scolaires et de méditations quasi-transcendantales que Moonwalk One trouve sa singularité, largement fonction de l'époque qui l'a vu naître.

Historique également car Moonwalk One, raison pour laquelle il a sans doute attendu 35 ans pour sortir en France, est une œuvre très américaine, construite sur le modèle du récit national. Certes à mille lieux du patriotisme traditionnel, pas vraiment l’obsession de l'époque dans les cercles hippies, le doc de Theo Kamecke est pourtant bien la tentative de compréhension d'une aventure très américaine, et des ressorts intime de la fascination de l'espace chez ses compatriotes. Compatriotes qu'il aime à montrer tous unis dans la même incrédulité face à l'énormité de la chose, participant en cela d'une forme de remise à jour de la bonne vieille cohésion nationale. S'il tente bien sûr d'universaliser la chose par quelques cartes postales récoltées de par le monde, cette drôle de fusée reste marquée du signe "USA", façon de rappeler que c'est bien l'oncle Sam qui a posé le pied sur la Lune et pas l'ogre soviétique.

Apport philosophique enfin car tout au long de son documentaire, Theo Kamecke cherche à aller plus loin que le simple constat philosophique et historique, son œuvre s'ouvrant et se clôturant d'ailleurs sur la même référence symbolique au mystère des pierres de Stonehenge. Reliant ainsi très intelligemment la grande aventure humaine du progrès scientifique au besoin vital de l'humanité de rechercher ses origines et de résoudre enfin une part du mystère du sens de cette vie qui semble toujours lui échapper, Moonwalk est sans doute l'un des plus beaux hommages qui peut être fait à la conquête spatiale, forme ultra-sophistiquée d'une interrogation elle ultra-simple mais qui hante l'humanité depuis toujours : qui sommes-nous ?

Salauds d'Américains, il faut décidément qu'ils aient toujours le dernier mot ... Je ne désespère cela dit pas que l'on monte nous aussi en France un très beau documentaire sur la formidable aventure scientifique et humaine de l'invention de la poêle en téflon par Téfal en 1954, qui a quand même précédé la petite ballade lunaire des Ricains de 15 ans. Ca aurait franchement un peu plus de gueule. SLETO est d'ailleurs prêt à centraliser les candidatures pour participer à ce beau projet. Un niveau de connaissance minimal dans les arts de la cuisine est requis, ainsi qu'une bonne maîtrise de la fonction vidéo de l'iPhone 4s. N'hésitez pas.

Note : 8,5 (Barème notation)

La bande-annonce


samedi 2 août 2014

La Planète des Singes : l'affrontement (Dawn of the Planet of the Apes en VO)

Science-fiction - US (2h10)
Réalisé par Matt Reeves
Avec Andy Serkis, Jason Clarke, Keri Russell, Gary Oldman

Les séparatistes pro-russes en Ukraine sont apparemment prêts à tout pour empêcher le travail des inspecteurs internationaux ...

Présentation : Après qu'un virus se soit échappé des laboratoires où de méchants scientifiques torturaient des singes juste pour le plaisir, la quasi-totalité de l'humanité semble avoir disparu de la surface de la planète tandis que la communauté des singes prospère elle sous la dictature éclairée du fameux pote poilu de James Franco, César. La cohabitation entre les derniers survivants humains et nos sympathiques cousins semble malheureusement un peu complexe.

Aller voir La Planète des Singes après le dernier Hong Sang-soo c'est un peu comme se mettre un CD d'AC/DC en rentrant d'un concert de Vincent Delerm : mieux vaut être bien accroché dans son fauteuil. Trop heureux d'attirer des gogos dans leurs salles, les grands complexes commerciaux ne rechignent d'ailleurs devant rien pour faire d'une pierre deux coups : chers spectateurs venus voir La Planète des Singes persuadés que ce film n'était pas qu'un bon gros blockbuster qui tâche, accrochez-vous encore une fois car vous aurez droit à toutes les bandes-annonces les plus tartes du moment : Black Storm, Hercule, Detective Dee, ... tout ça promet un maximum de bastons et de carnages, en 3D bien sûr.

C'est dommage, car malgré le peu de confiance qu'affiche la Twentieth Century Fox dans le niveau intellectuel de ses spectateurs, ce deuxième volet de La Planète des Singes est un film plutôt réussi, dans son genre bien sûr. Si les tours de force visuels y sont évidemment souvent pour beaucoup, L'affrontement n'est pourtant pas un film si tapageur que cela en dehors de quelques facilités scénaristiques que l'on pardonnera aisément à une grosse machine de ce type. Finalement plutôt sobre dans sa mise en scène, tout en étant assez efficace dans sa capacité à ramasser la violence dans quelques séquences très maîtrisées, le film de Matt Reeves parvient à conserver une certaine intensité du début à la fin même si la prévisibilité du tout reste il est vrai un obstacle de taille à un réel émerveillement.

Autre qualité : en dépit de quelques courtes séquences de flashbacks tardives loin d'être omniprésentes et même plutôt bien amenées, L'affrontement ne cherche jamais à trop marquer sa filiation avec le premier opus de la saga, se suffisant largement à lui-même une fois que les 5 premières minutes du film se sont chargées de faire le lien avec le récit originel. Matt Reeves évite donc ainsi plutôt bien le piège du second opus coincé entre le début et la fin d'une trilogie, les rares apparitions du fantôme de James Franco à l'écran étant plutôt cohérentes avec le tout. On appréciera également que la Twentieth Century Fox ne se soit pas sentie obligée d'imposer une méga-star du moment, le casting presque anonyme pour une production de cette ampleur offrant au spectateur la possibilité de réellement s'immerger dans l'univers du film sans avoir l'impression d'assister à un remake animalier de Transformers ou du dernier Marvel.

Sur le fond du film maintenant, rien de très original certes mais il est tout de même intéressant de remarquer que L'affrontement est à la croisée de deux obsessions très contemporaines :
  • l'apocalypse de l'espèce humaine qu'elle semble prête à s'infliger elle-même à tout moment, un thème largement vu et revu depuis quelques années, où les survivants paient toujours la folie des grandeurs de leurs prédécesseurs.
  • le choc des civilisations, ou quand les colombes se retrouvent toujours otages des velléités guerrières des faucons de leur propre camp. Guerre et paix, un thème qui hante l'Amérique moderne pour des raisons assez évidentes. On notera au passage que ce récit du conflit humano-simiesque n'encourage pas à beaucoup d'optimisme pour l'avenir d'une solution à deux États où chacun coexisterait pacifiquement, mais le clin d’œil est sûrement accidentel bien sûr.

Blockbuster oblige, difficile enfin de ne pas voir toute une artillerie de références à d'autres grosses machines du genre. C'est en occurrence ici la familiarité avec l'univers de Star Wars qui m'a rapidement sauté aux yeux, de façon peut-être tout à fait hasardeuse mais tout de même. Quelques coïncidences troublantes :
  • Dans un premier temps, la bataille entre les hommes et les singes a l'air sans précédent dans l'histoire du cinéma mais à bien y réfléchir cela ressemble un peu ... à la fameuse bataille des Ewoks à la fin du Retour du Jedi. Les petites boules de poil de Georges Lucas sont bien sûr un peu plus mignonnes, et nettement moins proches de nous, mais même la façon dont Matt Reeves dépeint cette société de singes retirée dans ses hauteurs fait terriblement penser à la cité suspendue des Ewoks ... à moins que ces Singes ressemblent surtout à des Wookies ... mais je délire sûrement.
  • Plus sérieusement, le duel final entre les deux leaders des Singes fait vraiment penser, autant dans sa scénographie que dans ses implications psychologiques, à un condensé des grands duels de chevaliers Jedi dans la saga Star Wars. Il y a un peu de la bataille fratricide entre Anakin et Obi-Wan dans l'épisode 3, un peu des duels entre Anakin et son père, un peu de la chute finale de l'Empereur ... Le parallèle n'est évidemment pas total mais cette bataille en haute altitude entre deux anciens compagnons a vraiment quelque chose de Lucas-ien.
  • Toute la mise en scène elle-même se rapproche finalement assez des standards de Star Wars, à savoir pas mal de maîtrise technique enveloppée dans une certaine sobriété et un cadre classique assez rigide. L'atmosphère musicale aurait d'ailleurs pu totalement être composée par John Williams, dont le générique de fin assez sombre pourrait être une des partitions.

Tout ça pour dire donc que L'affrontement devrait ne pas trop décevoir ceux qui n'en attendent pas plus qu'un blockbuster de qualité décente, et qu'il plaira peut-être particulièrement aux fans de Star Wars, mais je m'aventure là sans doute un peu trop.

Au passage, on peut saluer une bande-annonce qui n'en disait pour une fois pas tellement sur le fond du film, en omettant même une grande partie de l'intrigue. C'est assez rare pour être signalé pour un blockbuster de ce type, et encore plus pour une franchise : on est vraiment plutôt dans le haut du panier.

Note : 7,5 (Barème notation)

La bande-annonce