mardi 12 août 2014

Le Beau Monde

Drame français de Julie Lopes-Curval - 1h37
Avec Ana Girardot, Bastien Bouillon, Aurélia Petit, Baptiste Lecaplain


Présentation : Lucie vit avec sa mère à Bayeux mais rêve de monter à Paris pour étudier la haute couture. Sur son chemin elle croise Antoine, jeune bourgeois du coin : les deux ne tardent pas à tomber amoureux mais un monde les sépare toujours, fossé social que Lucie vit toujours comme une profonde douleur.

Faire d'un énième récit d'apprentissage un grand film, il faut maintenant franchement le faire quand tout a déjà été dit et plutôt bien dit dans la littérature et le cinéma français. Deux siècles après Balzac et Flaubert qui ont largement épuisé le sujet, et seulement un an après le choc de La vie d'Adèle qui a ramené au premier plan un certain sens de la lutte des classes au cinéma, Le Beau Monde est donc l'histoire de la jeune Alice et de ses débuts dans un grand monde dont elle ne connaît à peu près rien et qui la blesse autant qu'il l'attire. Du grand classique donc.

De ce point de départ apparemment banal, Julie Lopes-Curval parvient pourtant à décupler les potentialités pour en faire une œuvre à la fois redoutablement simple et foisonnante, remplie d'une vraie sensibilité que l'on ne croise pas si souvent sur les écrans. Transfigurant cette petite histoire par le biais d'une fable sociale d'une rare finesse psychologique, elle livre une copie d'une maturité évidente où Ana Girardot excelle en campant la précarité affective constante de son héroïne, luttant obstinément pour garder la tête hors de l'eau dans une nouvelle vie où tout lui est à peu près étranger.

Car Le Beau Monde est tout sauf une simple histoire d'amour ou la seule chronique d'un choc culturel, mais bien un roman d'apprentissage au sens le plus noble du terme. Par petites touches et sans fracas, Julie Lopes-Curval dresse un élégant portrait de femme qui ne cesse jamais de gagner en subtilité et d'agréablement surprendre un spectateur qui aurait pu logiquement s'attendre à une certaine somme de clichés. Car c'est aussi dans le refus des situations excessives et des facilités de scénario que Le Beau Monde gagne progressivement ses lettres de noblesse, n'éludant jamais la complexité humaine du matériau qu'il travaille. Guère de romance non plus dans ce film où l'on parle d'amour sans jamais chercher à verser dans le sentimentalisme, et où ne compte finalement que le récit de l'amour de Lucie, maladif, incontrôlé et disproportionné.

La plus belle qualité de ce Beau Monde est d'ailleurs au fond la subtilité avec laquelle il sait toujours éviter la caricature quand on sent venir un tournant trop évident, évitant ainsi autant le classique happy end grotesque que le désastre toujours tentant dramatiquement parlant. C'est en cela que l'on peut dire que Julie Lopes-Curval fait ici preuve d'un réel courage, celui d'évoluer dans cette très incertaine frontière entre bons sentiments et noirceur où rien n'est donné d'avance mais tout se gagne à force de constance. Il fallait cette finesse et cette palette de sensibilités pour livrer le récit d'une identité toujours en construction, dont le fil rouge symbolique est la recherche du sens artistique, procédé là encore d'une certaine ingéniosité.

En déjouant les pronostics, cette fausse romance mais vraie histoire de cœur trouve une vraie singularité, parfaitement illustrée par un final aussi bien pensé que ce qui l'a amené et qui nous conforte dans l'idée qu'il n'a jamais été ici question de nous prendre pour des idiots. A mesure que la fin approche et que l'élégance du propos se révèle on retrouve d'ailleurs des accents du très beau Un amour de jeunesse de Mia Hansen-Love, à qui Julie Lopes-Curval semble avoir emprunté la lumière et l'idée que de la fragilité finit par émerger une source de tranquillité. On résumera enfin en disant que Le Beau Monde est un film aussi profondément intelligent qu'émouvant, ce qui est tout sauf courant.

Note : 9 (Barème notation)

La bande-annonce

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