dimanche 10 août 2014

Winter Sleep

Drame turc de Nuri Bilge Ceylan - 3h16
Avec Haluk Bilginer, Demet Akbag, Melisa Sozen



Présentation : Aydin, comédien plus ou moins raté à la retraite, vit de vieux jours apparemment paisibles au fin fond de l'Anatolie dans un étrange hôtel troglodyte qu'il tient avec sa jeune femme et sa sœur. Une banale mais sordide histoire de loyers impayés par l'un de ses locataires fait progressivement éclater un certain nombre de tristes vérités qu'il avait jusque là préféré enfouir.

On n'aurait a priori pas imaginé devoir aller jusqu'au fin fond de l'Anatolie pour retrouver des accents perdus de l'oeuvre de Tchekhov mais c'est pourtant ici le pari un peu fou de Nuri Bilge Ceylan, pas effrayé par cette transposition quasiment suicidaire, surtout quand l'on décide de prendre presque 200 minutes pour s'adonner à l'exercice.

Bien que certes largement universel dans son ambition, Winter Sleep ressemble ainsi terriblement à un conte russe dans son incroyable violence rentrée, laissant éclater à intervalles réguliers une passion tout en contraste avec la froideur des paysages glacés et des apparences sociales.

Comme Tchekhov et ses grands contemporains russes, Nuri Bilge Ceylan livre en effet avec sa Palme d'Or cannoise un récit hanté par le masochisme et la nécessité de la punition, où chacun se flagelle et punit tour à tour par le seul moyen des mots, pour ne laisser au final que des perdants. Par cette succession de huis clos et de guerres sans merci, il met en branle une entreprise systématique de destruction des idoles où le vernis social et moral se désagrège progressivement pour laisser chacun seul face à sa conscience, compagnie qu'il ne dépeint pas comme très souhaitable.

Conte philosophique glaçant, ce long mais dense récit est pourtant aussi une histoire de quête de soi, et surtout d'une forme de réconfort, consolation que semble nous offrir un final tout en poésie mais sans doute insuffisant pour balayer les traumatismes étalés jusque là. Car il faut bien dire qu'à force de lessiver un à un ses personnages, Nuri Bilge Ceylan finit aussi par lessiver ses spectateurs par la même occasion, double alors parfait de son héros qui n'a de cesse d'écraser les autres sous le poids de son implacable intégrité. 

Mais cela n'empêche pourtant pas Winter Sleep, histoire de la haine et/ou de l'amour que chacun interprétera à l'aune de ses propres démons, de frapper au final surtout par sa profonde préoccupation pour l'humanité de chacun, qu'elle se matérialise dans la cruauté la plus gratuite ou la générosité la plus spontanée. Forcément toujours un peu coupable et innocent à la fois, l'homme de Nuri Bilge Ceylan est une créature alors certes imparfaite mais aussi tellement plus intéressante que le portait que l'on peut en dresser dans d'autres cinémas.

Pas impossible hélas que la durée, peu commune, et l'intellectualisme forcené du propos, sans concessions, fassent office de repoussoir pour beaucoup, le brevet de passage imposé par Ceylan n'étant probablement pas un passeport pour faire décoller sa carrière auprès du très grand public. C'est une Palme d'Or en même temps, vous vous attendiez à quoi ?

Note : 9 (Barème notation)

La bande-annonce

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