mercredi 3 septembre 2014

Obvious Child

Comédie romantique US de Gillian Robespierre - 1h23
Avec Jenny Slate, Jake Lacy, Gaby Hoffmann

L'expédier par Colissimo au plus offrant : un moyen efficace pour vous débarrasser d'un ami qui ne vous sert plus à rien

Présentation : Donna, apprentie comique qui galère dans les bars de stand-up de Brooklyn, se fait larguer par son mec qui a eu la bonne idée de coucher avec sa meilleure amie, et décide logiquement d'oublier ses malheurs avec le premier venu. Les relations sexuelles non protégées ont malheureusement parfois des conséquences inattendues et la situation de la pauvre Donna va alors en empirant ...

A y regarder de loin, Obvious Child, sympathique comédie romantique plutôt prévisible, vaut surtout par le talent de son interprète principale. Éphémère habituée du Saturday Night Live il y a quelques années, pour l'instant moins renommée que quelques unes de ses anciennes camarades (Kristen Wiig, Amy Poehler ou Maya Rudolph par exemple), Jenny Slate fait preuve ici d'une présence comique assez remarquable, transposant parfaitement dans l'univers féminin un style stand-up jusque là largement cantonné aux hommes. Ce mariage entre sketchs et fiction initié il y a maintenant plus de 20 ans par Jerry Seinfeld dans sa série du même nom, et récemment remis au goût du jour par Louis C.K dans sa série également éponyme, est assez habilement décliné sur grand écran et donne l'occasion à Jenny Slate de faire tranquillement l'étalage de son talent, ce qui suffit déjà à rendre ce Obvious Child tout à fait plaisant. Au rayon des influences, impossible également de ne pas aller chercher du côté de la longue tradition de l'humour juif, une caractéristique d'ailleurs clairement assumée dans le film, le goût de l'héroïne pour l'auto-flagellation renvoyant aux meilleurs moments de Woody Allen ou Larry David. Bref, un film complètement new-yorkais. 

Jenny Slate n'est d'ailleurs pas loin de tirer toute seule un film nettement plus convenu que ses saillies comiques (qu'elle a d'ailleurs elle-même écrites), pas vraiment aidée en cela par un soupirant (Jack Lacy) un peu trop investi dans son personnage de gentil garçon soporifique, et par un scénario sans grande surprise.

Et pourtant, à y regarder de plus près, Obvious Child est un film plus surprenant qu'il n'y paraît d'abord. La comédie de filles nouvelle génération est ainsi un genre relativement récent et jusque là écrasé par le poids de Judd Apatow, qui en a produit pour l'instant le plus grand succès succès (Mes meilleures amies écrit et interprété par Kristen Wiig). Problème, la comédie d'Apatow n'a jamais été un lieu très propice à autre chose qu'aux blagues de mecs, étant en cela tout sauf féministe, chaque final d'Apatow depuis Superbad rappelant bien que cette joyeuse bande de fumeurs de spliff est soit extraordinairement lâche soit formidablement réac et n'a finalement rien d'autre à nous offrir comme morale que le bon petit rêve américain à papa.

En apparence audacieuse, la nouvelle comédie à la Apatow, qui a profondément changé tout le paysage de la comédie US depuis 10 ans, garde ainsi un paquet de tabous quand on y réfléchit bien, et notamment un : l'avortement. Chez Apatow, comme dans à peu près toutes les comédies américaines grand public depuis la nuit des temps d'ailleurs, on ne se pose ainsi même pas la question de savoir s'il est bien sage d'enfanter en cas d'accident alcoolisé. C'est d'ailleurs le scénario même, au fond profondément débile, de En cloque, mode d'emploi, mais on retrouve l'idée dans le reste de sa filmographie, sans généralement la moindre nuance. Le simple mot d'avortement ne semble même pas exister, sorte de concept diabolique dont la seule évocation pourrait attirer la colère divine. Alors certes Apatow a aussi produit Girls, une des seules séries US à avoir abordé frontalement le sujet ces dernières années, mais on n'a pas l'impression que ce soit lui qui l'ait soufflé à Lena Dunham, qui a plutôt l'air d'une grande fille capable de prendre ses propres décisions. Et à voir le final ridicule du dernier film labellisé Apatow (Nos pires voisins), il semble d'ailleurs bien que cette tendance de fond ne soit pas près de bouger.

Tout l'intérêt d'Obvious Child est alors de se démarquer complètement de cette lourde filiation, et d'aller donc chercher ses influences ailleurs, justement un peu dans Girls même si l'on est là dans une forme de narcissisme qui tourne un peu moins en rond, et dans le reste de la comédie new-yorkaise en général. Obvious Child, c'est ainsi au fond la côté Est libérale contre l'Amérique conservatrice. Dans l'esprit de Gillian Robespierre, il n'est en effet jamais question de faire de cet Obvious Child un débat sur l'avortement et de faire de Jenny Slate une Juno au rabais. En montrant simplement l'avortement comme ce qu'il est sans chercher à le sur-dramatiser ou au contraire à en minimiser l'importance, elle parvient à traiter intelligemment un sujet tabou et à faire de cette comédie de filles une simple comédie de mœurs, que l'on pourra apprécier en étant une fille ou pas parce qu'il n'est pas interdit de penser que ces sujets appartiennent à tout le monde. Il reste à démontrer que le cinéma puisse changer quoi que ce soit en la matière, surtout quand on connaît la méfiance de l'Amérique à papa concernant tout ce qui sort de la Big Apple, mais ça ne retire rien à l'intelligence du propos, à saluer.

* Sauf quand Donna en vient en prononcer la maintenant sempiternelle formule "I am a mess", passage obligé d'à peu près toutes les comédies centrées sur des jeunes adultes depuis Garden State, l'Auberge Espagnole, ou Girls donc qui en use et abuse.

A noter d'ailleurs pour continuer sur ce thème que le titre du film provient d'une chanson de Paul Simon du même nom (à écouter par ici). La présence côté bande-son du meilleur pote de Garfunkel, icône par excellence de l'Amérique progressiste depuis les années 60, est en effet bien la preuve que l'on est ici un peu au-dessus de la mêlée de la production US habituelle. Possible alors que ce Obvious Child rejoigne la longue tradition des films américains marchant mieux à l'export que dans leur propre patrie, pas toujours très réceptive à des subtilités souvent grossièrement qualifiées d'européennes. Tant pis pour eux.

Pour l'anecdote enfin, les amateurs de séries comiques US pourront ici retrouver deux vieux amis :
  • Richard Kind, l'excellent Paul dans Spin City
  • David Cross, l'exceptionnel Tobias Fünke dans Arrested Development

Note : 8 (Barème notation)

La bande-annonce


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