mardi 9 septembre 2014

Gemma Bovery

Comédie dramatique française d'Anne Fontaine - 1h39
Avec Fabrice Luchini et Gemma Arterton

Luchini, le prototype même du mec au-dessus de tout soupçon

Présentation : Martin Joubert, typique bobo parisien reconverti en boulanger à la campagne, vit d'apparents paisibles vieux jours dans un petit village normand quand apparaît l'étrange Gemma Bovery, quasi homonyme de la fameuse héroïne de Flaubert. Une coïncidence qui n'échappe pas à Martin, aussi passionné de Flaubert qu'intrigué par cette nouvelle venue ...

Pré-critique :

A l'heure d'aller découvrir Gemma Bovery, il est difficile de ne pas se poser tout un tas de questions tant ce film ballade avec lui un paquet d'interrogations. Dans l'ordre d'évidence :
  • Une adaptation d'une BD elle-même adaptée de Madame Bovary ? Et à quand l'adaptation de cette adaptation ? A noter que c'est la deuxième adaptation de suite pour Anne Fontaine après Perfect Mothers (qui venait lui-même après le très dispensable Mon pire cauchemar ... ) : de là à penser qu'Anne Fontaine est en panne d'inspiration, il n'y peut-être qu'un pas ...
  • A l'heure où le livre de l'ex Madame Hollande cartonne en librairie, ça n'est en même temps pas complètement catastrophique qu'une œuvre littéraire un peu moins triviale ait elle aussi le droit à un peu de publicité gratuite ... peu probable que Flaubert ait autant les faveurs de Closer et Public cela dit.
  • Au-delà de cette adaptation, on ne peut s'empêcher de penser en voyant Gemma Arterton s'embarquer dans cette aventure que voilà un film qui ressemble terriblement à un certain Tamara Drewe, qui décrivait une jeune et charmante femme débarquant au beau milieu de la campagne anglaise et qui avait justement en partie révélé ... Gemma Arterton. Ah oui et puis le personnage joué par Gemma Arterton s'appelle ... Gemma. A ce degré de coïncidences là, difficile de croire encore au hasard.
  • Après l'excellent Alceste à Bicyclette, exiler Fabrice Luchini loin de Paris pour voir comment survit un bobo à 500 bornes de Saint-Germain-des-Près est apparemment devenu un genre à part entière. Pourquoi pas, on a vu largement pire dans le cinéma français.

Sur ce, il est donc temps d'aller voir à quoi peut donc bien ressembler ce curieux cocktail.

(cette façon de présenter les films n'a pas forcément vocation à devenir une habitude, mais ça me paraissait assez utile dans le cas présent, et puis j'avais peur d'oublier tout ça une fois vu le film je l'avoue ...)

Critique :

Le propre des bandes-annonces est de duper, c'est bien connu. A la vue de celle de Gemma Bovery, difficile ainsi de s'attendre à autre chose qu'une gentillette fable provinciale, où la recette du bon vieux vaudeville serait relevée par quelques notes d'un Luchini des familles, plus que jamais grincheux et lyrique à la fois.

Erreur car Gemma Bovery est un de ces rares films qui vaut mieux que ce que son court matraquage publicitaire en laisse paraître. A chercher des parallèles comme je l'ai fait abondamment juste avant, j'avais ainsi laissé passer en route celui qui devient vite évident au bout de quelques scènes. Cette histoire d'un homme obsédé par la vision du romanesque dans sa petite vie bourgeoise assoupie a en effet tout d'une réjouissante suite du Dans la maison de François Ozon, qui s'attachait déjà assez intelligemment (et déjà avec Luchini ...) à explorer ce qu'il y a de littéraire dans toute vie, et inversement serait-on tenté de dire.

Plus qu'une banale comédie, ce Gemma Bovery est ainsi une vraie comédie dramatique au sens noble du terme, où le comique et le dramatique parviennent à coexister sans que l'un finisse par totalement étouffer l'autre, même si l'on s'étonnera peut-être tout de même d'un épilogue final certes très drôle mais un peu hors sujet. Comme Ozon encore, on retrouve d'ailleurs aussi chez Anne Fontaine, que l'on avait pas devinée aussi heureuse de filmer depuis un moment, un certain art de jouer avec ses personnages comme avec des marionnettes, qui rappellera évidemment celle d'un narrateur de roman. A la croisée de la BD (pour l’œuvre originale), du roman et du cinéma, Gemma Bovery est ainsi un film certes parfois en apparence un peu maladroit mais osant assez pour conserver son intérêt jusqu'au bout, qui aurait pu s'évanouir s'il ne s'était agi que d'une bête adaptation moderne de Madame Bovary.

Impossible enfin de ne pas parler de Fabrice Luchini, à qui revient justement le fameux rôle de narrateur et qui semble à peu près tout être dans ce film : narrateur donc, mais aussi personnage, acteur, double de lui-même, réalisateur, auteur, ... Ce film est bien le sien de la première à la dernière seconde malgré la prestation convenable de Gemma Arterton, car ce Fabrice Luchini est passé depuis un bon moment déjà dans la catégorie des acteurs plus grands que leur propre image ou personnage, capable d'inspirer auteurs et réalisateurs par leur simple présence. Jamais il ne nous vient ainsi à l'esprit que ce Gemma Bovery aurait pu ne pas être écrit pour lui, ce qui est pourtant bien le cas, et il y a là tout un testament à ce que représente aujourd'hui ce Luchini là dans le cinéma français. On pourra toujours bien sûr objecter que l'on n'est pas loin d'une forme de facilité à ne se reposer que sur une pure caricature pour soutenir des films entiers, mais certaines caricatures sont tout de même plus réussies que d'autres et il n'y avait de toute façon sûrement que Fabrice Luchini pour savoir aussi bien donner forme à ce grand littérateur mi-désabusé mi-euphorique, tout étriqué dans sa retraite normande un peu pathétique.

Une démonstration presque peut-être trop clinquante car il est possible au final que, comme souvent, ce Luchini là écrase un peu tout le reste du film et des acteurs, du coup parfois renvoyés à leur simple statut d'êtres humains non luchiniens. C'est aussi le paradoxe d'un film où Anne Fontaine essaie jusqu'au bout de tenir la promesse d'une affiche qui promettait un vrai duo à l'écran mais où seul Fabrice Luchini semble avoir les clés pour se mettre à la hauteur du défi, Gemma Arterton aussi charmante soit-elle semblant ainsi parfois un peu perdue dans un film qui ne lui donne jamais vraiment les moyens de sortir d'un très étroit cadre, en image d’Épinal so british. Cela a au fond une forme de cohérence puisque Gemma Bovery est bien l'histoire de Gemma Bovery vue par Martin Joubert, mais cela empêche peut-être aussi de complètement profiter de l'effet de drame quand celui-ci finit par pointer son nez ...

La scène finale dont j'ai déjà parlé suffira ainsi sans doute à convaincre les sceptiques que tout cela est finalement un peu trop bassement trivial, mais elle ne rayera quand même pas toutes les qualités d'un film qui fait assez souvent preuve d'intelligence pour sortir du lot.

Note : 8 (Barème notation)

La bande-annonce


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