A l’heure où j’aurais pu faire comme tout en chacun et rester
tranquillement emmitouflé dans mon salon un chocolat chaud à la main, je ne
sais pas exactement ce qui m’a poussé à aller voir un film ukrainien en noir et
blanc racontant l’histoire d’un petit garçon orphelin perdu dans un pays ravagé
par la seconde guerre mondiale. Sans doute l’espoir d’une illumination, la très
sainte fête de Noël approchant. Seul spectateur dans la salle à n’avoir pas
connu cette fameuse guerre de mon vivant, la réalité m’est alors finalement
apparue : les choses ne sont parfois rien d’autre que ce qu’elles sont et
le fils de Dieu nous a quittés depuis longtemps. Tant pis, après tout l’important
avec le cinéma d’art et d’essai, c’est justement d’essayer.
S’il y a bien une chose que l’on
ne peut pas reprocher au cinéma russe ou ukrainien*, c’est de se vautrer dans
la légèreté et la futilité. Deuxième long-métrage d’Eva Neymann, élève de son
illustre compatriote Kira Mouratova, La
Maison à la tourelle est un film pour le moins lourd à digérer,
incontestablement esthétique certes, mais très lourd quand même.
Si son récit est aussi sinistre
que peut l’être une histoire otage d’un tel contexte historique, le film d’Eva
Neymann a en revanche le mérite d’être un travail esthétique de tous les
instants, chaque plan ayant sans conteste été méticuleusement poli, l’héritage
du patrimoine cinématographique soviétique et russe étant ici évident. La beauté
épurée de son noir et blanc et la lenteur pesant sur chaque scène permettent par
ailleurs à son film de s’échapper d’un réalisme trop académique, donnant à son œuvre
un aspect quasi fantastique et très allégorique, sorte de conte slave de la
descente aux enfers.
Indéniablement troublant et
parfois hypnotisant, notamment grâce à l’interprétation plutôt réussie de son
héros, La Maison à la tourelle a en
revanche sans doute les défauts de ses qualités, l’obsession esthétique et
formelle de sa réalisatrice menaçant constamment son film de tomber dans une pure
contemplation un peu froide d’évènements sensés parler d’eux-mêmes. Un travers
cependant limité à des proportions raisonnables pendant les deux premiers tiers
du film, se clôturant sur la très belle irruption musicale d’une Gnossienne d’Eric Satie, nous laissant
alors présager une conclusion très élégiaque.
Au lieu de cela, Eva Neymann
choisit de quitter sa petite bourgade enneigée et de nous faire monter dans un
train qui ferait passer le Transperce-neige de Bong Joon-Ho pour un paisible TGV
en direction de La Rochelle en plein mois d’août. De sinistre, son film se fait
alors carrément lugubre et de plus en plus vain, laissant la contemplation s’emparer
totalement de son récit et se laissant tenter par une galerie de portraits de
pauvres hères ravagés par la guerre. Une imagerie certes assez traumatisante
mais n’apportant pas grand-chose à l’histoire de son petit garçon, d’ailleurs
curieusement absent de certaines séquences finales.
Semblant croire qu’il suffit de
filmer des ruines sous la neige et des visages défaits pour dire quelque chose
de neuf sur les horreurs d’une guerre que l’on connaît déjà très bien, elle
nous perd autant qu’elle perd le fil de son récit, qui se clôture finalement
dans la même brume ayant enveloppé une bonne partie de son film. Et le
spectateur de se demander s’il était foncièrement utile de s’infliger cela
volontairement alors qu’il faudra retrouver une fois dehors un froid cette fois
bien réel, l’esprit chargé d’images prêtes à alimenter ses plus sombres
cauchemars pour les nuits à venir.
Et bien oui, car il faut savoir
souffrir, aussi.
*Pour être franc, je connais
vaguement le cinéma russe et absolument pas le cinéma ukrainien, je me permets
donc d’accoler les deux en raison de la longue histoire commune de ces deux
peuples, certes parfois douloureuse pour l’un des deux. Les lecteurs ukrainiens
auront donc tout à fait le droit de s’insurger devant ce raccourci culturel.
Note : 7 (Barème notation)
Pour vous faire un avis par
vous-même : la bande annonce, qui évidemment ne vous dira à peu près rien sur le film
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