samedi 15 février 2014

Ida : La Vie d'Ida - chapitre 0



On rentre dans le dernier film de Pawel Pawlikowski comme dans une église : à la fois fasciné par tant de beauté et pas mécontent de savoir que la lumière du jour sera toujours là dehors pour nous accueillir. Car Ida est un film total dénué de tout artifice, pari aussi admirable qu’angoissant.


En réalisant Ida, Pawel Pawlikowski signe d’abord son propre retour dans son pays d’origine. Après un long exil en Europe occidentale et plusieurs films tournés vers l’Ouest (My summer of love, La femme du Cinquième), Ida est cette fois un film pénétré des canons esthétiques du cinéma russe ancienne école, gagnant par cet anachronisme une formidable force suggestive et symbolique. De cet académisme total ne s’autorisant aucun écart naît donc une œuvre d’une beauté radicale, troublante mais unique.

Autant le dire tout de suite : il n’y aura probablement pas un film visuellement plus achevé qu’Ida en 2014, car c’est bien un véritable chef d’œuvre esthétique que Pawel Pawlikowski nous offre là. Il y aurait sans doute dans chaque plan, réglé au millimètre comme seul sait le faire le cinéma de l’Est, de quoi alimenter une conférence entière sur l’art de la réalisation. Aucun autre cinéma ne sait en effet tirer une telle perfection visuelle du noir et blanc, alliant géométrie de l’espace et travail sur la lumière pour produire des scènes aussi éblouissantes que des tableaux de maîtres. 

De cet héritage cinématographique Ida a aussi l’apparente froideur, et une simplicité si totale qu’elle donne des airs mystiques ou philosophiques au moindre mouvement de caméra. Ida va en effet au bout du dépouillement pour ne laisser qu’une fenêtre ouverte sur un monde froid et muet, où les êtres semblent s’agiter comme des poupées incohérentes contre une immuable réalité, aussi statique que la caméra s’attardant implacablement sur eux. Parce qu’Ida fascine et occupe entièrement l’esprit par sa seule présence esthétique, il est d’ailleurs facile de régulièrement s’y perdre dans la contemplation, oubliant presque le récit se déroulant à l’écran.

Travers regrettable car Ida n’est pas seulement un objet esthétique mais bien une histoire à part entière, évitant d’ailleurs toujours de s’égarer dans sa propre contemplation. Remarquablement court (1h19), le film de Pawel Pawlikowski y gagne une fluidité étonnante et perd aussi peu de temps à débuter qu’à se clôturer, chose remarquable pour un film à première vue aussi opaque. Cette simplicité narrative alliée à sa forme on ne peut plus épurée donne à Ida des allures indéniables de conte philosophique, ce que même son titre si laconique semble suggérer. Un drôle de conte certes, en forme de terrible étude de cas sur les méandres de l’identité et la culpabilité d’être soi, plus proche de Beckett que des frères Grimm.

Mais Ida est surtout un magnifique récit initiatique parvenant à mêler subtilement naïveté et cruauté, porté par l’interprétation parfaite d’Agata Trzebuchowska qui pourrait bien être l’Adèle du cinéma polonais. Une initiation qui se clôture sur un magnifique plan final offrant un espace infini à la réflexion, en même temps qu’un énième ravissement des yeux. Il faut donc bien croire aux miracles.



Pour vous faire votre avis par vous-même : la bande annonce


A suivre : Les grandes ondes (à l'ouest)

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