dimanche 23 février 2014

Courrier des lecteurs : la semaine d'Eugène, rédacteur à SLETO



Cher médiateur,

Oublions les formules de politesse car vous avez face à vous un lecteur excédé. Votre réponse à mon précédent courrier n’était-elle qu’un énième subterfuge visant à vous moquer ouvertement de votre lectorat par une lamentable pirouette ? Les semaines se suivent et se ressemblent en effet et votre productivité ressemble de plus en plus clairement à celle  d’un apathique paresseux somnolant paisiblement perché en haut d’un arbre. Bien que peu enthousiaste, votre dernier agenda laissait pourtant espérer un minimum de professionnalisme, qui est encore une fois bien loin d’être au rendez-vous. Ayant rencontré pas plus tard qu’hier d’autres lecteurs tout aussi perplexes que moi face à cette situation, laissez-moi vous dire que vous n’êtes plus qu’à quelques instants du dépôt de bilan si vous ne vous ressaisissez pas rapidement.

Plus très cordialement,

Marc Batravic (Caen, Calvados)

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Cher Marc,

Je comprends votre désarroi, la lecture de SLETO étant je l’imagine ce petit instant de bonheur illuminant votre journée dont l’absence peut alors vous plonger dans des océans d’amertume.

Concernant le dernier agenda de la semaine, j’ai bien peur de devoir vous confesser qu’il est parfois dangereux de trop faire confiance aux différentes annonces de notre rédaction. Si celle-ci est assez morcelée, l’individualisme ayant atteint à SLETO des sommets jusque-là jamais même imaginés, tous nos rédacteurs, mêmes les plus brillants, partagent par contre une étonnante capacité à ne quasiment jamais tenir leurs promesses, ce qui a déjà provoqué mille remous dans la vie interne de notre société.

Sachez par exemple, car je me rends bien compte Marc que nous vous devons de plus amples et honnêtes explications, que notre bien aimé rédacteur en chef attend depuis des semaines un grand papier sur l’utilisation du subjonctif dans le cinéma de Quentin Tarantino promis par deux de nos plus éminents contributeurs, et que celui-ci ne semble toujours pas sur le point d’être commencé malgré les nombreuses remontrances ayant été faites à ces derniers. Prétextant une lourde charge de travail et une recherche documentaire exigeant d’eux un investissement de tous les instants, il semblerait pourtant que les deux individus susnommés aient été aperçus hier au Parc Astérix en train de déguster de la barbapapa ce qui vous en conviendrez Marc n’est guère le comportement que l’on est en droit d’attendre de rédacteurs chevronnés, même si cela a au moins donné l’idée à notre rédacteur d’installer une machine à barbapapa à la rédaction pour pousser la productivité de ses collaborateurs.

Ceci étant dit, il me semble utile pour que vous compreniez encore mieux notre difficulté à vous fournir un contenu de qualité régulier de vous donner un aperçu d’une semaine typique d’un de nos rédacteurs, que je ne nommerais pas par souci d’anonymat, et parce qu’il ne sait pas encore que le reste de la rédaction l’espionne depuis des mois. Nous avons par ailleurs préféré laisser de côté tous nos rédacteurs se droguant ou abusant trop souvent de l’alcool, ce qui n’aurait été ni convenable ni vraiment représentatif des réels efforts déployés par le reste de la rédaction pour combler d’aussi fidèles lecteurs que vous.

Le sommeil reste la valeur centrale de la Charte des rédacteurs de SLETO adoptée à l'unanimité en début d'année

Nous appellerons notre rédacteur Eugène pour les besoins de l’exercice, mais il aurait tout aussi bien pu s’appeler Donald.

Mercredi : Eugène débarque à la rédaction aux alentours de 13 heures et part tout de suite déjeuner avec quelques autres membres eux aussi pressés de quitter les locaux, généralement infestés de toutes sortes d’odeurs, voire de rongeurs. Le repas est animé et de nombreux sujets sont abordés, à la notable exception du cinéma qui ne semble pas tellement les préoccuper. Revenu à la rédaction, Eugène vérifie qu’il n’a toujours pas eu le moindre email depuis son entrée en fonction il y a 3 ans et quitte donc la rédaction vers 16h30. Arrivé chez lui, il réalise que l’on est mercredi et que mercredi est jour de sorties au cinéma et qu’il faudra probablement qu’il fasse quelque chose de cette information dans un avenir proche. Le reste de sa journée se partage entre le poker en ligne et skyper avec sa compagne, installée depuis peu à Quimper pour relancer son entreprise de confections de bonnets jusque-là peu florissante.

Jeudi : Quelque peu déprimé par l’absence de sa compagne, Eugène appelle la rédaction vers 11 heures en prétextant un ennui de plomberie qui l’empêchera de venir aujourd’hui, apostrophe violemment le rédacteur en chef adjoint qui lui rappelle qu’il n’a ni toilettes ni évier ni douche dans son appartement et finit par avouer qu’il n’a tout simplement pas envie de venir, ce qui satisfait son supérieur ayant de toute façon l’intention de s’en séparer prochainement. Tout de même angoissé par l’idée de perdre son emploi, Eugène finit par se rendre sur Allociné pour consulter quelques bandes-annonces mais est vite happé par les pubs envahissant son écran et passe la soirée à consulter divers moyens de s’enrichir rapidement et d’augmenter de façon substantielle la taille de outil de reproduction.

Vendredi : Se réveillant avec la même anatomie mais avec le souvenir d’avoir effectué des virements bancaires peu sûrs, Eugène finit tout de même par se ressaisir et se rappelle alors qu’il pourrait consulter l’agenda hebdomadaire de la rédaction pour trouver un film à chroniquer. Très emballé par un dessin animé étant justement sorti ce mercredi, il appelle tout de suite notre directeur des contenus pour l’en avertir mais doit malheureusement se rendre à l’évidence : La belle et la bête n’est pas un dessin animé mais bien un film. Dépité, il finit tout de même par se rabattre sur un film nord-coréen sorti il y a déjà 4 mois et que notre directeur essaie désespérément de refiler depuis, persuadé que SLETO doit investir le champ du cinéma d’art et d’essai. Eugène accepte mollement puis découvre trois heures et quelques vodka-pommes après que le dit film n’est projeté que dans deux salles en France, à Angers et à Montreuil. Peu emballé par cette information, il décide de remettre à plus tard toute décision et d’aller rejoindre des amis organisant une soirée Rapido dans le bar le plus proche.

Samedi : Individu très pieux, Eugène célèbre le samedi saint et médite longuement sur les souffrances du Christ et les siennes à venir, qui y ressembleront sans doute.

Dimanche : Eugène pense un moment à se rendre à Montreuil pour visionner La malédiction du serpent des monts Koji mais se rappelle que Montreuil est de l’autre côté du périphérique et qu’il est donc hors de question qu’il se rende si loin, même par impératif professionnel. Il appelle alors le directeur de la rédaction pour savoir s’il est envisageable de faire passer un billet de train pour Angers en note de frais mais tombe sur son répondeur, celui-ci observant le dimanche saint et méditant aussi sur les souffrances du Christ, et probablement également sur celles d’Eugène à venir.

Lundi : S’étant vu refuser son billet pour Angers sous prétexte que son pass Navigo lui suffit pour se rendre à Montreuil, Eugène pense un moment à démissionner mais se rappelle que son conseiller Pôle Emploi lui a récemment expliqué que son RSA ne pouvait lui être versé que s’il occupait un emploi d’au moins 15 heures par semaine, peu importe lequel. Eugène réalise alors qu’il n’a travaillé que 2 heures dans la semaine jusque-là et se résout à tenter le diable et à se rendre à Montreuil. C’est le moment que choisit sa compagne pour débarquer par surprise dans son appartement, son activité à Quimper étant brusquement interrompue par la révolution s’étant déclarée en Bretagne et la répression féroce de l’armée venant d’être envoyée par un Jean-Marc Ayrault survolté. Baignant dans le ravissement d’avoir retrouvé sa chère moitié, Eugène oublie les serpents nord-coréens et se laisse sombrer dans une douce concupiscence.

Mardi : La moitié de la Bretagne ayant été rasée et le calme étant donc revenu, Antoinette (nous appellerons ainsi la compagne d’Eugène) repart la mort dans l’âme à Quimper après des adieux touchants avec Eugène, très affecté par ce triste coup du sort. N’ayant pas le courage de se traîner jusqu’à Montreuil, Eugène préfère noyer son désespoir dans un reste de vodka industrielle ramenée d’un voyage en Biélorussie il y a 15 ans. Avant de basculer complètement dans l’inconscience il écrit à la va-vite quelques paragraphes sur ce film nord-coréen qu’il n’a pas vu, en insistant notamment sur le symbolisme évident entre serpent et pénis, et l’envoie dans la foulée à notre directeur des contenus sans même l’avoir relu. Il s’effondre quelques instants plus tard.

Mercredi : Arrivé comme d’habitude à la rédaction à 4h30 du matin pour truquer les comptes en toute tranquillité, notre directeur des contenus prend connaissance de la chronique envoyée par Eugène à 1h37 du matin. Quelque peu étonné par les nombreuses fautes d’orthographe, celui-ci est en revanche très agréablement surpris par la qualité du papier et se félicite d’avoir insisté pour que SLETO s’oriente vers d’autres cinémas plus intellectuels, qui lui permettront sans aucun doute de conquérir de nombreux publics. Il note sur un post-it d’attendre encore quelques semaines avant de licencier Eugène, ne serait-ce que pour toucher les aides destinées aux entreprises engageant des handicapés mentaux, et de contacter l’équipe de production de La malédiction du serpent des monts Koji, qui seront certainement enchantés de la publicité leur étant faite sur SLETO.

J’espère que cet aperçu vous donnera Marc une petite idée du défi quotidien auquel est confrontée la direction de SLETO, devant tous les jours user de milles ruses et pirouettes pour entretenir la motivation de troupes dont le professionnalisme est comme vous le voyez très relatif.

Dans l’espoir de vous compter toujours parmi nos fidèles lecteurs,

Votre médiateur.

Le second petit boulot permettant à Eugène de compléter son RSA

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