dimanche 6 avril 2014

Nebraska : Mémoire de nos pères


Vieux projet mis entre parenthèses il y a quelques années après Sideways (2005) auquel il ressemblait selon lui un peu trop, Nebraska n’est pas vraiment le film qu’on attendait d’Alexander Payne après le succès de The Descendants (2012), et tant mieux. Road-trip épuré à l’extrême en forme de retour aux sources, Nebraska réussit à faire simple sans pour autant tomber dans le conte pour enfants, porté par un casting peut-être moins prestigieux que son prédécesseur mais impeccable de bout en bout.

Le rêve américain

Faire entendre la voix des sans-voix, c’était le pari audacieux mais risqué d’Alexander Payne avec ce taiseux Nebraska, tout en silences, quiproquos et sous-entendus. A l’heure où le film social a à peu près disparu des écrans des cinémas américains et assimilés, c’est à cette Amérique profonde en train de doucement se noyer qu’Alexander Payne donne ici la voix, trimbalant ses anti-héros entre Montana et Nebraska pour dresser le tableau d’un pays dans le pays largué par la modernité et son cortège de désastres économiques.

Tout dans Nebraska se met donc au service de cette humilité presque documentaire, où Alexander Payne n’essaie jamais d’instiller du drame pour le drame ou du dialogue pour le dialogue, refusant à tout prix la performance pour la performance pour privilégier une forme de vérité, que celle-ci soit glamour ou pas. Dans cette recherche de la simplicité, le choix du noir et blanc permet habilement de se rapprocher du conte philosophique, déconnectant l’ensemble des contingences du temps et des modes de l’époque.

Nebraska n’est en effet pas à la mode, et ne fait rien pour l’être. En apparence un peu anecdotique au début, le film d’Alexander Payne ne cherche ainsi pas à appâter le spectateur en donnant dans le sensationnalisme du drame familial. Nebraska mûrit au contraire du début à la fin, et laisse progressivement se mettre en place son scénario finalement pas si creux que cela, et sa mécanique psychologique bien plus fine que ce que l’on peut redouter au début.

En opérant ainsi, Nebraska va chercher des émotions que l’on ne croise pas si souvent dans le cinéma des grands studios, et touche d’autant plus qu’il donne à voir des hommes et des femmes de la rue que l’on ne filme quasiment plus dans un cinéma d’aujourd’hui ne mettant plus beaucoup les pieds dans les maisons des masses laborieuses, pas assez photogéniques en dehors des quelques habituels clichés des pauvres sympas restés simples. Il y a dans tout cela une vraie tendresse pour ces oubliés de la grande marche du progrès, mais une tendresse parvenant à éviter le piège de la mièvrerie pour simplement montrer les gens comme ce qu’ils sont et non pas comme ce que l’on voudrait qu’ils soient. 

Désamorçant également le mélodrame par de fréquentes tonalités comiques, Nebraska est au final un film qui ne paie pas de mine mais en réalité bien plus intelligent qu’il n’y parait, sachant instiller de la complexité et de l’émotion petites touches par petites touches, pour finalement laisser le spectateur face à un film pas si anecdotique que cela malgré tous ses efforts pour cacher son ambition artistique.

Dans cette belle leçon de cinéma, un grand mérite revient bien sûr aux deux acteurs principaux, et à Alexander Payne ayant eu l’intelligence de se passer de stars pour laisser une chance aux spectateurs de s’approprier ses personnages. Bouleversant par ses silences, Bruce Dern accomplit ici ce qu’on peut appeler une performance d’acteur, donnant magnifiquement corps à un personnage qui rend un peu de leur dignité à des milliers d’hommes incapables de prendre la parole pour se défendre. Il fallait un engagement total pour sombrer avec son Woody Grant dans le naufrage de la vieillesse et Bruce Dern montre ici avec éclats que l’âge n’est pas un obstacle quand la flamme est toujours là.

Plus étonnante peut-être est la performance d’un Will Forte que l’on connaissait jusque-là surtout comme bouffon du roi, et qui réussit ici à mêler dans les bonnes proportions sa fibre comique de loser absolu et une plus grande profondeur de jeu, indispensable pour révéler tous les ressorts psychologiques de cette relation père/fils en apparence complètement bancale. Autre anti-héros à la recherche d’un père qu’il n’a finalement jamais vraiment connu, Will Forte sait ainsi assez s’effacer pour rester dans la tonalité douce-amère du film, mais aussi monter en régime quand il le faut, une grande partie de l’émotion dégagée par le film se nourrissant du regard du fils sur ce père qu’il découvre finalement comme pour la première fois.

Peu de films jouent autant des regards, des silences et des non-dits que sait le faire Nebraska, dont la pudeur vis-à-vis des sentiments de ses personnages est une des clés de sa réussite. Pudeur qui irrigue tout le film jusque son dernier plan, aussi sobre qu’efficace. Preuve que l’économie de moyens contribue parfois autant à l’efficacité que la débauche de sentiments et d’effets spéciaux de toutes sortes. Si l'intuition est là depuis un moment, il est toujours appréciable d'en avoir des preuves tangibles, Nebraska est là pour prouver qu'il y aura toujours une place pour un autre cinéma, voire même plusieurs.

Note : 8,5 (Barème notation)

Pour vous faire un avis par vous-même : la bande annonce


A suivre : Nebraska

Conférence de rédaction chez nos confrères de SLETO États-Unis. Non au jeunisme.



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