Après le Lincoln de Steven
Spielberg, Steve McQueen nous entraîne à son tour dans une ambitieuse fresque
historique sur les dessous du rêve américain et de l’esclavage. Tout aussi
maitrisé formellement, 12 Years a Slave est pourtant d’une force
toute autre, porté par un réalisme et une intransigeance artistique étourdissantes,
donnant à son œuvre une vérité et une modernité qui fera date. Le premier très
grand film de l’année.
Tout comme le récent hommage de
Steven Spielberg à Abraham Lincoln, 12 Years
a Slave a la force des très grandes fresques historiques américaines, certes
parfois un brin mélodramatiques mais servies par des réalisateurs et
interprètes au sommet de leur art sachant généralement éviter toute faute de
goût. Admirablement bien mise en scène et interprétée, l’œuvre de Steve McQueen
est la preuve qu’Hollywood sait encore faire de très grands films, même sur des
sujets comme l’esclavage si difficiles à traiter avec intelligence et audace.
Contrairement à Lincoln, épatant formellement mais un
peu trop occupé à faire d’Abraham le Messie revenu sur Terre pour guider
l’Amérique, 12 Years a Slave est un
film tout aussi maitrisé mais d’une autre force car porté dès les premiers
instants par un réalisme et une vitalité saisissants. Si l’on savait déjà
depuis Hunger et Shame que Steve McQueen n’avait pas peur de montrer la souffrance
et la colère des âmes et des corps, 12
Years a Slave montre avec éclats qu’il n’a rien perdu de cette capacité à
montrer l’inmontrable sans tomber dans le voyeurisme ou la pure provocation.
Mais tout comme ses deux
précédentes œuvres, 12 Years a Slave a
aussi l’immense qualité de n’être pas que réaliste et de savoir instiller une
touche de lyrisme dans ce tableau pourtant lugubre. Un pari une nouvelle fois
réussi à l’aide d’une d’un mise en scène experte, capable d’alterner avec le
même talent des moments d’une dureté parfois à la limite du supportable et de
courts instants de grâce, les jeux de lumière et de musique fonctionnant à la
perfection pour équilibrer le tout. Tantôt lourd et étouffant, tantôt lumineux,
12 Years a Slave sait ainsi se mettre
complètement au service de la terrible histoire vraie dont il s’inspire,
évitant toute digression stylistique ou philosophique douteuse.
L’intelligence de Steve McQueen
est d’ailleurs aussi de conter l’histoire d’un homme sans jamais tomber dans la
glorification de l’individu et la mythologie du martyr. Il n’y a en effet pas
de grands Satans et de grands prophètes dans 12 Years a Slave, juste des tortionnaires terriblement ordinaires
et des victimes n’ayant pas le luxe de faire dans l’héroïsme.
Cette exigence de vérité est au
final sans doute la caractéristique principale du cinéma de Steve McQueen, se
manifestant sur plusieurs plans. Elle est d’abord le fait d’acteurs
irréprochables, l’habitué Michael Fassbender ayant déjà accompagné Steve
McQueen dans ses deux précédents films livrant à nouveau une partition
époustouflante aux côtés du pour l’instant moins référencé Chiwetel Ejiofor,
tout aussi bluffant. A commencer par Paul Dano, aussi hypnotisant dans son rôle
de psychopathe minable qu’il l’était dans There
Will Be Blood, le reste du casting de Steve McQueen sait également en faire
assez sans jamais en faire trop, ce qui suffit largement compte tenu des événements
racontés ici.
Cette vérité se manifeste aussi
dans quelques scènes proprement hallucinantes où la tension se fait
littéralement oppressante, produisant une angoisse peut-être encore plus
traumatisante que la violence presqu’insoutenable s’exprimant à quelques
moments de manière très crue. Il n’existe malheureusement pas de prix dans le
milieu pour récompenser une scène particulièrement réussie ; c’est un tort
car la scène où Steve McQueen nous montre pendant un temps très long son héros
en train de se débattre la corde au cou en attendant la délivrance est
probablement la chose la plus dingue que vous verrez au cinéma cette année,
pour de vrai.
Dans ces quelques instants d’une
vérité absolue, il semble alors que tout s’évanouit autour de nous pour nous
laisser seuls face au cinéma à l’état plus pur, simple lunette grossissante
braqué sur l’esprit humain. C’est tout le génie de Steve McQueen, parvenant à
abolir pendant deux heures la frontière entre réalité et cinéma pour livrer une
œuvre totale se jouant des deux, alors même qu’elle les contient tous deux
entièrement. Il y a de la magie là-dedans, tout simplement.
Celui-là les aura mérité ses
Oscars.
Note : 9 (Barème de notation)
Pour vous faire votre avis par vous-même : la bande annonce
A suivre : Tonnerre
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire