mardi 28 janvier 2014

12 Years a Slave : douze ans de solitude



Après le Lincoln de Steven Spielberg, Steve McQueen nous entraîne à son tour dans une ambitieuse fresque historique sur les dessous du rêve américain et de l’esclavage. Tout aussi maitrisé formellement, 12  Years a Slave est pourtant d’une force toute autre, porté par un réalisme et une intransigeance artistique étourdissantes, donnant à son œuvre une vérité et une modernité qui fera date. Le premier très grand film de l’année.



Tout comme le récent hommage de Steven Spielberg à Abraham Lincoln, 12 Years a Slave a la force des très grandes fresques historiques américaines, certes parfois un brin mélodramatiques mais servies par des réalisateurs et interprètes au sommet de leur art sachant généralement éviter toute faute de goût. Admirablement bien mise en scène et interprétée, l’œuvre de Steve McQueen est la preuve qu’Hollywood sait encore faire de très grands films, même sur des sujets comme l’esclavage si difficiles à traiter avec intelligence et audace.

Contrairement à Lincoln, épatant formellement mais un peu trop occupé à faire d’Abraham le Messie revenu sur Terre pour guider l’Amérique, 12 Years a Slave est un film tout aussi maitrisé mais d’une autre force car porté dès les premiers instants par un réalisme et une vitalité saisissants. Si l’on savait déjà depuis Hunger et Shame que Steve McQueen n’avait pas peur de montrer la souffrance et la colère des âmes et des corps, 12 Years a Slave montre avec éclats qu’il n’a rien perdu de cette capacité à montrer l’inmontrable sans tomber dans le voyeurisme ou la pure provocation.

Mais tout comme ses deux précédentes œuvres, 12 Years a Slave a aussi l’immense qualité de n’être pas que réaliste et de savoir instiller une touche de lyrisme dans ce tableau pourtant lugubre. Un pari une nouvelle fois réussi à l’aide d’une d’un mise en scène experte, capable d’alterner avec le même talent des moments d’une dureté parfois à la limite du supportable et de courts instants de grâce, les jeux de lumière et de musique fonctionnant à la perfection pour équilibrer le tout. Tantôt lourd et étouffant, tantôt lumineux, 12 Years a Slave sait ainsi se mettre complètement au service de la terrible histoire vraie dont il s’inspire, évitant toute digression stylistique ou philosophique douteuse.

L’intelligence de Steve McQueen est d’ailleurs aussi de conter l’histoire d’un homme sans jamais tomber dans la glorification de l’individu et la mythologie du martyr. Il n’y a en effet pas de grands Satans et de grands prophètes dans 12 Years a Slave, juste des tortionnaires terriblement ordinaires et des victimes n’ayant pas le luxe de faire dans l’héroïsme.

Cette exigence de vérité est au final sans doute la caractéristique principale du cinéma de Steve McQueen, se manifestant sur plusieurs plans. Elle est d’abord le fait d’acteurs irréprochables, l’habitué Michael Fassbender ayant déjà accompagné Steve McQueen dans ses deux précédents films livrant à nouveau une partition époustouflante aux côtés du pour l’instant moins référencé Chiwetel Ejiofor, tout aussi bluffant. A commencer par Paul Dano, aussi hypnotisant dans son rôle de psychopathe minable qu’il l’était dans There Will Be Blood, le reste du casting de Steve McQueen sait également en faire assez sans jamais en faire trop, ce qui suffit largement compte tenu des événements racontés ici.

Cette vérité se manifeste aussi dans quelques scènes proprement hallucinantes où la tension se fait littéralement oppressante, produisant une angoisse peut-être encore plus traumatisante que la violence presqu’insoutenable s’exprimant à quelques moments de manière très crue. Il n’existe malheureusement pas de prix dans le milieu pour récompenser une scène particulièrement réussie ; c’est un tort car la scène où Steve McQueen nous montre pendant un temps très long son héros en train de se débattre la corde au cou en attendant la délivrance est probablement la chose la plus dingue que vous verrez au cinéma cette année, pour de vrai. 

Dans ces quelques instants d’une vérité absolue, il semble alors que tout s’évanouit autour de nous pour nous laisser seuls face au cinéma à l’état plus pur, simple lunette grossissante braqué sur l’esprit humain. C’est tout le génie de Steve McQueen, parvenant à abolir pendant deux heures la frontière entre réalité et cinéma pour livrer une œuvre totale se jouant des deux, alors même qu’elle les contient tous deux entièrement. Il y a de la magie là-dedans, tout simplement.

Celui-là les aura mérité ses Oscars. 


Pour vous faire votre avis par vous-même : la bande annonce


A suivre : Tonnerre




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